Le film « Black » : un cocktail de racisme postcolonial !

Carte blanche de Sarah DEMART, sociologue et Mireille Tsheusi ROBERT, éducatrice au sujet du film polémique belge du moment « BLACK ».

black le film

Avec 14.000 spectateurs le jour de sa sortie, le film belge « Black » d’Adil El Arbi et de Bilall Fallah est un succès. Mais l’histoire basée sur le livre du même nom (Bracke, 2006) parle d’autre chose que ce qu’elle prétend relater : une histoire d’amour interdite entre Mavela et Marwan, deux jeunes appartenant à des bandes rivales, composées d’un côté, de jeunes issus des migrations africaines subsahariennes, de l’autre, des migrations marocaines.

Ce n’est pas la transformation de la réalité qui pose problème, puisque ce film est assumé comme une fiction, mais les stéréotypes, raciaux et racistes, qu’il véhicule. Car en dépit de ses qualités artistiques et techniques, ce film véhicule un racisme postcolonial et menace un lien social déjà fragile.

« Calmez-vous c’est une fiction »

Bien que les réalisateurs aient rencontrés policiers, jeunes et Bruxellois avant le tournage, « Black » est un cocktail de clichés et de fantasmes racistes qui en dit long sur les représentations des personnes d’origine africaine, 55 ans après les indépendances. La violence est essentiellement le fait des Noirs et d’une culture africaine caractérisée par le sexisme, le patriarcat, la terreur et les relents des guerres ethniques. Sorte de violence atavique, non régulée, ni régulable, la rhétorique de la sauvagerie et de la barbarie n’est pas loin.

« Calmez-vous, c’est une fiction » …. Certes, mais s’il est possible de distiller, tout au long du film, des stéréotypes sur les « Blacks », pourquoi n’est-il pas possible d’aborder la question du racisme des « Beurs » envers les Noirs (cf. l’héritage de l’esclavage arabo-musulman) ? Pourquoi dans cette version interculturelle de Roméo & Juliette, le rejet de l’autre provient-il, uniquement, des « Blacks » ? Doit-on voir dans cette asymétrie, l’expression d’un tabou postcolonial?

La série des clichés coloniaux mobilisés est longue mais le thème de la sexualité noire, central. Supposément débridée, violente et agressive, les cinéastes ont voulu montrer « la violence sexuelle qui est une réalité » dans ces groupes.

« La camera érotise le viol de la fille noire »

On quitte la fiction… Pourtant, tout comme l’obsession médiatique des tournantes maghrébines dans les cités françaises des années 1990-2000, a questionné les représentations postcoloniales du garçon arabe, la focalisation sur le viol collectif interroge le creuset fantasmagorique des réalisateurs. Alors que le passage sur le viol collectif de la jeune fille arabe traduit une certaine pudeur, on ne le voit pas, la caméra érotise le viol de la fille noire, l’ethétise, en filmant longuement, par le biais de ses seins, les spasmes de son corps soumis à la violence des sexes masculins. Oui, il y a lieu de s’interroger sur ce que nous dit ce film du racisme postcolonial en Belgique, y compris lorsque celui-ci est le produit d’individus appartenant à des groupes eux-mêmes stigmatisés, minorisés et racisés.

Lorsque « Black » aborde l’une des motivation d’intégration d’une bande : le besoin d’être respecté dans le groupe, à défaut de l’être dans la société globale (Cf. Mavela qui refuse le sort de sa mère diplômée réduite à des formations), les réalisateurs abordent un point essentiel mais sans s’y attarder. L’influence positive que peuvent avoir certaines filles sur les garçons, ne sera pas non plus abordée, pas plus que les principales activités de ces bandes (musique, sport), leurs discours sur la discrimination ou le néocolonialisme, sur la paupérisation de leurs familles.

« Ce film nous fait reculer de 20 ans dans le domaine des représentations sociales liées aux « bandes urbaines » dites africaines. »

« Ce n’était pas le but » ? Oui, bien sûr. Mais fallait-il pour autant véhiculer autant de contre-vérités au sujet de ces groupes: enfants soldats, rituels d’entrée et d’ascension, familles défaillantes, drogue dure, armes à feu, systématisation des viols collectifs et tournantes ?

Bien que financé par l’État belge, ce film nous fait reculer de 20 ans dans le domaine des représentations sociales liées aux « bandes urbaines » dites africaines. Tout le travail de déconstruction associatif, institutionnelle, policier et académique visant à comprendre pourquoi des jeunes belgo-subsahariens se font violence, entre-eux (et non entre Noirs et Marocains), ou pourquoi les filles constituent leurs propres bandes, balayé en une heure et demi d’un revers de main artistique.

« Ce n’est qu’une fiction, pas un débat de société ! » … L’une des conséquences concrètes de ce film : la représentation que l’opinon publique se fait des Noirs de Belgique et que les jeunes se font d’eux-mêmes. D’expérience, ce type de fiction a un impact négatif et dangereux sur les jeunes. Le film New Jack City (Van Peebles, 1991) était aussi une fiction, il est pourtant à l’origine des « Bandes urbaines africaines » de Bruxelles ou plutôt de leurs précurseurs, les News Jacks.

Depuis deux décennies, on observe que les représentations des bandes véhiculées par les médias ou certaines classifications policières ont fini par influencer l’économie de ces groupes. La consommation et le trafic de drogues dures, certaines formes de proxénétisme, la présence d’armes à feu ou des formes d’organisation mafieuse hiérarchisée sont autant de phénomènes très marginaux (environ deux groupes sur une trentaine, 6%) et récents (depuis 2013) que l’on doit à l’influence de ces fantasmes. A n’en pas douter, ces réalisateurs talentueux qui pensaient faire un film « anti-bandes urbaines » contribuent à renforcer le phénomène.

Sarah DEMART, Sociologue (CEDEM-ULg/IMMRC-KULeuven)

Mireille-Tsheusi ROBERT, Educatrice (Présidente de Ba YaYa)

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2 Commentaires
  • Zaraki
    mars 15, 2017

    La fiction part d’un point de départ (un vécu, une histoire, une réalité) si bien que les représentations mêmes si celles-ci sont mimées ou jouées, elles reflètent bien la pensée du réalisateur. L’éducation de chacun peut faire la différence. Si le réalisateur n’a connu que de la violence dans sa vie. N’étonnons nous pas que le film sera réalisé avec une violence qui caractérisera la pensée de ce réalisateur. Un spectateur peut très bien se reconnaitre dans cette fiction ô combien interprétée.
    Le racisme des blancs est trop souvent mis en accusation au détriment de celui des arabes qui est trop souvent tabou. Alors qu’il est aussi cruel voir pire que les blancs.
    Les noirs doivent à leur tour passer un cap plutôt que de manifester notre ras le bol de ces stérétypes. Les noirs devront désormais pouvoir répondre aux clichés racistes des peuples à peau blanches et cela sans sommation. Les noirs que pensez vous vraiment des arabes seraient le titre de mon film.