« Qui est choqué de voir Michelle Obama en short ? »

Michelle Obama portait un short lors de sa visite du Grand Canyon. Vous en avez entendu parler ? De toutes parts, c’est une levée de bouclier – »de toutes parts » signifiant en fait « pas grand monde », ou plutôt, un vaste groupe indéfini de pas-grand-chose.

Selon le Today Show, « certains » ont qualifié « d’inapproprié » son choix vestimentaire — mais l’article ne cite que des gens qui sont en faveur du look en question ou, dans le cas du journaliste mode du Washington Post, Robin Gihven, qui sont « partagés » quant aux jambes nues pour une randonnée au mois d’août en Arizona. Dans The Examiner, on déclare Obama magnifique, tout en regrettant que « certains membres de la presse et du public » soient chagrinés. Qui sont ces membres de la presse et du public ? On ne le sait pas — dans le reste de l’article, on soutient Obama en rabrouant ces agresseurs sans nom. Dans les commentaires, même, les lecteurs approuvent à une majorité écrasante la tenue d’Obama, sauf quelques trolls isolés qui sont toujours prêts à critiquer une célébrité prise en photo (les shorts ne sont pas seyants, etc.) Selon ma propre expérience des commentaires des articles de Newsweek, s’il y a quelque chose de négatif à dire, concernant l’administration par exemple, on ne manquera pas d’en entendre parler dans les commentaires, sous la plume d’un lecteur anonyme, et généralement sur plusieurs posts consécutifs. Si les commentaires sont positifs pour l’essentiel, on peut penser qu’il n’y a pas vraiment de polémique.

Le Huffington Post déclare qu’Obama « risque » de s’attirer des critiques en ayant dévoilé ses « jambes superbes » (après tout, ses robes bras nu avaient provoqué les hauts cris), puis sonde les lecteurs afin de savoir si les shorts constituent une tenue convenable. À plus de 80 %, les votants approuvent le short, bien qu’un tiers remette en question sa longueur.

Sur son blog, le L.A. Times affirme que « certaines personnes sont choquées »… Et propose en guise de preuve un lien vers le post de l’Examiner. J’ai cherché dans la National Review et googlisé l’expression « Ann Coulter Obama Short ». J’ai interrogé mes collègues de travail. Personne n’est au courant, n’a lu ou ne peut citer une quelconque preuve concrète du fait que les Américains sont choqués par le short de Michelle Obama. Et pourtant « short de Michelle Obama  » est en tête des sujets dans Google, et des dizaines d’autres exemples de blogs et d’organismes de presse évoquent « des critiques » choqués par cette prise de position. Il est tout à fait possible que « certains membres de la presse » aient pu être un peu frappés de voir Obama porter des shorts, et désireux d’en parler dans leurs colonnes. Le mois d’août est calme du côté actualité, et couvrir les réactions des gens effectivement scandalisés et furieux sur la question de la réforme de la couverture santé ne peut qu’occuper un nombre limité de minutes dans la ronde des informations qui circulent sur Twitter. Pourquoi, alors, se cacher derrière un agresseur anonyme ? Pourquoi ne pas venir franchement nous dire : « Michelle Obama était en short, ce qui est sans précédent pour une première dame » (est-ce seulement vrai ? Cinq dollars qu’on peut trouver dans les archives nationales une photo d’Eleanor Roosevelt en pantalons courts).

En fin de compte, en l’absence de polémique, ce dont il s’agit, c’est du peuple américain pris à reluquer le corps d’une femme. Quelque chose qui arrive tout le temps, mais qui doit être déguisé sous un questionnement socialement pertinent lorsque la femme en question n’est pas un objet traditionnel de consommation publique. Les mannequins, les actrices, voire les athlètes peuvent être transformés en objets, mais pour mater la première dame à la télévision, il faut d’abord s’abriter derrière le paravent de la démarche journalistique.

En évoquant « des voix critiques », le journaliste se pose en héros. Il vient à la rescousse d’Obama en défendant son droit à porter ce qu’elle désire — un droit qui n’a jamais été remis en question, et que ne conteste quasiment personne en Amérique. Ce faisant, il est en mesure de parler à nouveau de son corps, faisant de ses jambes, ses hanches, ses cuisses et son ventre un sujet du débat public, au même titre que le combat de son mari sur la question de la couverture santé. Passons sur le fait que ce débat sur qui est pour et qui est contre le fait qu’Obama porte des shorts suggère que la société aurait son mot à dire sur la façon dont une femme décide de s’habiller. Les décisions que prennent les femmes sur leur tenue ou leur corps ne sont pas de celles qui requièrent « approbation » ou « soutien » — et pourtant, voilà qu’on effectue des sondages dans le but de se rassurer l’un l’autre sur le fait qu’on n’a rien à redire sur le fait qu’une femme adulte montre ses jambes.

Michelle Obama n’a pas besoin qu’on vienne à sa rescousse. Elle n’a pas besoin de commentaires de votre part sur telle ou telle partie de son corps. Et elle n’a pas certainement pas besoin de notre permission pour porter des shorts.

 

PAR KATE DAILEY

Traduction française de David Korn

 

 

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