Polémique autour d’un mannequin blanc peint en noir

Le magazine Vogue Paris présente des photos d’une femme blanche entièrement maquillée en noire. Démarche artistique, raciste ou maladroite, la polémique fait rage.

« Choquant », « inacceptable ». Après les sites communautaires et les forums en ligne, c’est au tour du Cran de monter au créneau. Le Conseil représentatif des associations noires s’insurge contre la publication dans le magazine Vogue français d’un mannequin blanc maquillée en noire.

« La rédactrice en chef de Vogue, Carine Roitfeld et le photographe Steven Klein doivent comprendre que maquiller un top model blanc en noir, aux seules fins de divertir leur lectorat est choquant et inacceptable », écrit le Cran dans un communiqué le 16 octobre.

Le retour du « blackface » ?

Dans son édition d’octobre, la « bible de la mode » présente plusieurs pages consacrées à une « étoile » de la mode : Lara Stone, mannequin hollandais de 25 ans. Celle-ci a su se distinguer sur les podiums, notamment grâce, entre autres, à une poitrine affirmée et des hanches dessinées, qui contrastent avec les diktats de la minceur extrême en vigueur dans le milieu.

Plusieurs photographes l’ont shootée sous tous les angles pour les pages intérieures du magazine. Sous l’objectif du photographe américain Steven Klein, elle apparait intégralement maquillée en noire.

Sur le net, la polémique est bel et bien lancée. Démarche artistique pour certains, acte raciste pour d’autres. Les premiers estiment la critique ridicule et infondée. Les seconds ne manquent pas de voir en cette métamorphose une réminiscence du blackface, une tradition née aux Etats-Unis au XIXe siècle. Des comédiens blancs se grimaient avec du cirage, exagéraient la taille de leurs lèvres, portaient des perruques laineuses et des vêtements en lambeaux. Ainsi affublés, ils se livraient alors à une caricature des Afro-américains, qu’ils représentaient comme lâches, soumis, joviaux et simples d’esprits.

« Il y a une intention qui est clairement artistique »

Pour d’autres détracteurs, les photos sont déplacées, alors que les mannequins noirs, quasiment absents des podiums et des magazines peinent à obtenir de la visibilité. « A une époque où les mannequins noirs se plaignent des discriminations qui sévissent lourdement dans le monde de la mode, à une époque où des centaines de milliers de femmes choisissent de se blanchir la peau plutôt que d’être noires, à une époque où la mairie de Paris lance une courageuse campagne de sensibilisation à l’intention des jeunes femmes françaises noires qui décident, encore en 2009, de se blanchir la peau, au péril de leur santé, il est difficile de dire à quel point ces images sont malvenues », ajoute le Cran dans son communiqué, précisant que l’éventualité d’une action judiciaire, si elle n’est pas d’actualité, n’est pas pour autant exclue.

Dominique Sopo, président de SOS racisme n’y voit en revanche qu’« un exercice de style ». « Il y a une intention qui est clairement artistique », a-t-il déclaré.

Polémique née aux Etats-Unis

Si en France l’affaire ne fait pour l’instant pas grand bruit dans les médias en ligne et encore moins traditionnels, il en est tout autre en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Acte délibéré contre maladresse, le débat fait rage, jusque sur CNN ou Jenna Sauers, journaliste du site Jezebel.com s’est exprimé sur le sujet en prime-time. Elle a été la première à s’en être indignée sur le net. Sous le titre « Oh no they didn’t : French Vogue does Blackface », elle reconnait que la France n’a pas la même tradition culturelle et historique que les Etats-Unis. Pour autant, « peindre une femme blanche en noire est un signal alarmant » (…) « Steven Klein étant américain, il est impossible d’avancer que le magazine ne savait pas qu’il jouait avec le feu », écrit-elle.

Un milieu très frileux

Pure maladresse ? Le choix de maquiller Lara Stone de la sorte n’est pas expliqué dans les colonnes du magazine. La direction de Vogue Paris ne s’est pas exprimée sur le sujet. Il n’est pas rare de voir des mannequins féminins habillées en homme sans que cela ne choque personne. Peut-on se jouer de la couleur de peau comme de l’identité sexuelle ? Le contexte actuel et les douloureuses expériences du passé ne semblent pas permettre cela aujourd’hui. Le sujet est sensible car tabou dans ce milieu. Naomi Campbell, un des rares top noirs a avoir fait la couverture de l’édition française du magazine s’en était plainte à plusieurs reprises : la diversité effraie le monde de la mode, particulièrement en Europe.

En 2008, l’édition italienne du magazine avait sorti un numéro uniquement avec des photos de mannequins noirs. Une initiative exceptionnelle qui avait fait couler beaucoup d’encre. Car Vogue n’en est pas à sa première accusation de racisme. L’absence récurrente de mannequins de couleur dans ses pages a été plusieurs fois soulignée. Dans cette même édition d’octobre, le magazine présentait une revue des mannequins et top-models les plus prometteurs du moment. La sélection ne comprenait aucun modèle noir.

 

RFO

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