Au Cameroun, les homos ne se cachent plus

Le 27 avril 2011, le jeune Clotaire N. est sévèrement battu par sa mère et ses sœurs et chassé de la maison familiale dans un quartier populaire de Douala, la métropole économique du Cameroun. Il appelle au secours Alternatives Cameroun, une association de défense des droits de l’homme. Il demande au célèbre styliste Parfait Behen, le président de l’association, de supplier sa mère de le reprendre.

« J’ai eu la maman au téléphone et j’ai été scandalisé par les propos qu’elle a tenus à l’égard de son propre enfant. Elle a dit qu’elle n’en voulait plus, qu’il pouvait aller au diable et qu’il n’avait plus de place dans sa maison. Cet enfant est en grande détresse, il souffre énormément », confirme Parfait Behen.

Des histoires comme celles-là, il y en a beaucoup à Douala, à Yaoundé et dans bien d‘autres villes du Cameroun. Celles de jeunes gens que les familles renient parce qu’elles soupçonnent l’homosexualité de leur fils ou de leur fille, parce qu’elles l’ont appris à la suite de quelque « outing ». Un quotidien difficile

Philippe Njaboue, homosexuel lui aussi, a la trentaine. Il est en froid avec son grand frère :

« Quand il a su, il a arrêté toute relation avec moi, m’a interdit de voir ses enfants que, croyait-il, je pouvais contaminer et m’a traité d’ambassadeur du diable. »

Philippe est l’un des rares kwandengue, comme les homos se désignent eux-mêmes au Cameroun, qui « assument, s’affichent et revendiquent ». Une vraie exception !

Candas Fenty, un autre jeune homosexuel, lui, ne s’affiche pas :

« Les gens me regardent comme quelqu’un d’étrange. Dans mon quartier, les gens se figent ou arrêtent leurs conversations quand je viens à passer. On dévisage les gens qui me fréquentent. Je suis moi-même obligé de faire attention en sortant de chez moi. Je le vis comme une pression psychologique. »

Mais les choses sont souvent bien pires. Les depso, comme la plupart des gens nomment méchamment les homos dans les grandes villes camerounaises, peuvent être moins bien traités que des « chiens ». Insultés, menacés et violentés, ils sont traqués jusque sur leur lieu de travail, comme Aïcha A. qui a vu sa vie basculer quand sa famille a appris qu’elle était lesbienne.

Passons sur les rackets et les dénonciations qui finissent au commissariat ou dans les prisons. Le 28 avril 2011 Roger Jean-Claude Mbede a été condamné à 36 mois de prison ferme par le tribunal de première instance de Yaoundé. Selon l’article 347bis du Code pénal, « est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 francs CFA [de 31 à 305 euros] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. »

Cette disposition est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur les homosexuels et qui conforte l’homophobie ambiante. C’est ce que croit Stéphane Koche de l’Association de défense des homosexuels (Adefho) :

« L’abrogation de ce 347bis aiderait à déconstruire la perception que les Camerounais se font de l’homosexualité. »

On n’en est certainement pas là. Car d’après une étude réalisée par cette association, près de 200 personnes sont, chaque année, inquiétées et même traînées devant les tribunaux pour inversion. A l’origine, l’homélie d’un évêque

Depuis quelques années, la question de l’homosexualité et de l’homophobie qu’elle charrie a surgi sur la place publique au Cameroun. Une homélie de l’archevêque de Yaoundé, fin 2005 ; l’affaire des listes de personnalités présumées homosexuelles, début 2006 ; et, en janvier 2011, un projet en faveur des homosexuels dont le gouvernement a dénoncé le financement par l’Union européenne. A chaque fois, ces affaires qui défraient la chronique laissent libre cours à une vague de réactions antihomosexuelles dans un pays où, au nom des traditions, de la religion, de la culture, l’homosexualité est une abomination.

Stéphane Koche s’emporte, revenant sur les origines de la montée en puissance de l’homophobie dans son pays :

« C’est l’homélie de Monseigneur Tonye Bakot, l’archevêque de Yaoundé qui a, pour ainsi dire, tout déclenché. Il disait que nous étions un pays où les hommes devaient baisser leur culotte pour avoir un poste, pour entrer dans une grande école ; bref, il disait que c’était un moyen pour l’ascension sociale. Il aurait dû dire aussi que les promotions canapé n’ont pas commencé avec les hommes. Elles ont commencé et continuent avec les femmes et personne ne s’en plaint.

A l’époque, j’étais étudiant à l’université de Douala et je peux vous dire que ce discours avait foutu une trouille extraordinaire aux étudiants. Tous ceux qui aspiraient à devenir ci ou ça imaginaient qu’il leur faudrait passer par là. Et ça a cristallisé la haine de l’homosexualité et des homosexuels non pas seulement à l’université, mais aussi dans la société camerounaise. »

Dans cette société camerounaise où les ancrages traditionnels et les croyances religieuses sont très forts l’homosexualité reste assimilée à une importation des blancs ou, pire, à un moyen pour justement affaiblir les sociétés africaines. De la sorcellerie ou des pratiques sectaires. Fermez les bans ! Amalgames et avancées

Militante des droits de l’homme et directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac), Maximilienne Ngo Mbe tempère :

« Le problème, c’est que tous ces gens qui tirent sur les homosexuels ne disent pas la vérité. Il existe une homosexualité naturelle, ordinaire, qui n’a rien à voir avec ces pratiques sectaires et qui ne se montre même pas. La vérité, c’est qu’il y a des sectes qui utilisent et instrumentalisent la jeunesse qui veut un emploi, qui veut faire sa vie et qui rêve. »

De quoi faire dire au sociologue Charles Gueboguo, dans une récente interview au quotidien Libération, que « les homosexuels sont des boucs émissaires », bien souvent obligés de dissimuler leurs tendances sous la couverture de mariages de convenance et la double vie qui va avec. Mais à en croire un bon nombre de défenseurs de leurs droits, les choses changent progressivement pour les homos. Pour Yves Yomb, défenseur des droits des minorités sexuelles :

« Le gouvernement a pris la mesure de la problématique du sida chez les homosexuels, l’a intégrée dans sa stratégie de lutte contre la maladie et nous y encourage. Il a traîné les pieds et même si le personnel de santé continue de discriminer les patients sur la base de leur homosexualité, je pense que ça avance. »

Parfait Behen le président d’Alternatives Cameroun se réjouit des avancées de l’église catholique sur le sujet :

« Même le Vatican a évolué sur ces questions en demandant que l’on ne condamne plus les gens pour homosexualité. C’est curieux que personne n’en parle. C’est pourtant vrai. »

Maître Alice Nkom, celle qui s’est fait connaître comme l’avocate des homosexuels au Cameroun, ne démord pas :

« Depuis que nous débattons de ce problème, des gens nous écoutent. Beaucoup d’entre eux se sentent interpellés par ce que nous disons parce que nous leur apportons des éléments de fait et de droit. Des éléments qui les amènent à nous dire : « je ne suis pas d’accord avec ce que tu fais, mais je ne vois pas pourquoi on les mettrait en prison. Je ne suis pas d’accord avec eux et ça ne me regarde pas ». A la limite, c’est tout ce qu’on leur demande.

Comme ils font respecter leur droit à la vie privée, qu’ils respectent celle des autres. Pour moi, les choses évoluent dans le bon sens. Seulement, actuellement, le ministère de la Justice est en train de préparer la réforme du code pénal. Et quand on lit ce qu’il prépare, on voit qu’il maintient l’homosexualité comme infraction.

Et ça pourrait arriver dans la mesure où au ministère de la Justice, nous avons quelqu’un qui est prisonnier de ses propres convictions, de sa propre conception qu’il tire peut-être de sa religion et de sa coutume et qui peut, de sa position, influencer tout le Cameroun dans l’élaboration du nouveau code. »

P.-S.

Image : Candas Fenty et Anne-Marie à Douala, mai 2011. © Stéphane Tchakam. Tous droits réservés.

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