La République centrafricaine, symbole d’un désastre franco-africain

C’était en 1982, François Bozizé, remuant général centrafricain, aujourd’hui président, m’avait donné rendez-vous dans une tour du XIIIe arrondissement de Paris, et m’avait annoncé, sûr de lui : « Je rentre à Bangui, et je prends le pouvoir ». Il avait échoué, et avait dû attendre… 2003 pour atteindre son but, renversant dans un coup d’Etat le président Ange-Félix Patassé dont il fut longtemps l’allié.

A son tour aujourd’hui d’être menacé par un groupe de rebelles, ressemblant comme deux gouttes d’eau au chef de bande qu’il fut lui-même avant d’endosser ses habits neufs de chef d’Etat.

Ça se passe ainsi en République centrafricaine, un pays enclavé en Afrique centrale, plus grand que la France pour moins de cinq millions d’habitants, et qui fut longtemps (mal)traité par la France comme un véritable porte-avions, une situation stratégique naturelle au cœur du continent noir.

Mais les temps changent : l’enjeu stratégique a grandement diminué, et François Hollande a sonné le glas, jeudi, du rôle de gendarme de l’armée française dans ce pays, y compris lorsqu’il s’agit de faire ou défaire le régime en place.

Un Etat en faillite

La République centrafricaine (RCA) est le prototype de ce que les politologues américains ont baptisé les « failed states », les Etats en faillite. Avant d’être en faillite, encore eût-il fallu exister, et la RCA n’en a guère eu l’occasion depuis son accession à l’indépendance en 1960.

Dans la longue litanie de catastrophes politiques dans ce pays, il faut bien sûr faire une place à part à Jean-Bedel Bokassa, qui, avec la complaisance complice de la France giscardienne, offrit au pays son premier coup d’Etat militaire (renversant son cousin David Dacko, qui le renversera à son tour après être rentré à Bangui dans un Transall de l’armée française), avant de se faire couronner empereur en 1977.

Bokassa 1er et l’impératrice Catherine. Un ministre français, Robert Galley, a assisté à cette farce sinistre, et des hommes d’affaires et des politiques français se sont gavés sur le dos de cet ancien soldat qui s’est battu pour l’armée française en Indochine et en Algérie, et s’est cru le Napoléon de l’Afrique centrale.

Quand il est devenu gênant, Paris l’a tout simplement renversé en 1979, et a placé un pantin plus présentable à sa place.

Main humaine sortie du four

Bokassa est une figure tragicomique de la Françafrique. J’ai assisté à son procès, à Bangui, dans les années 1980, alors qu’il était poursuivi pour massacres, tortures, et même anthropophagie, un grand moment de théâtre politico-judiciaire franco-africain.

Deux ténors du barreau français, Francis Szpiner et François Gibault, participaient au procès, tous deux en service commandé pour le ministère de la Défense et l’entourage de Jacques Chirac, afin de ne pas laisser déraper ce procès contre un ancien officier des guerres coloniales françaises…

Toute personne ayant assisté à ce procès se souvient encore du contre-interrogatoire par Me Szpiner du cuisinier de Bokassa, qui venait de témoigner en faveur de la thèse de l’anthropophagie en décrivant une main humaine sortie du four…

Ce fut la fin de Bokassa, condamné à mort à Bangui mais autorisé à finir ses jours dans son château français d’Hardricourt, qui avait un temps été cédé à Roger Holeindre, ex-para et ex-dirigeant du Front national à ses débuts, héritage bizarre d’une fraternité d’armes mal placée. Mais ce n’était pas la fin des errances de la Centrafrique, jusqu’à ce jour.

Le jeu trouble de la France

Dans les années 1980, derrière la façade de la légalité républicaine restaurée en Centrafrique, la France régnait en maître.

La RCA était alors considérée par Paris comme un atout stratégique irremplaçable, un porte-avions aux confins du Tchad – alors en guerre permanente avec la Libye de Kadhafi –, des principaux alliés de la France en Afrique centrale comme les deux Congo et le Cameroun, et enfin ouvert sur le Soudan et les pays d’Afrique de l’Est.

La France avait installé deux bases militaires dans le pays, l’une dans la capitale, rempart du régime, et l’autre à Bouar, dans le nord, tournée vers le Tchad et les interventions régionales.

Et à Bangui, c’est un officier français, le colonel Jean-Claude Mansion, véritable « pro-consul » de Centrafrique, qui pouvait d’un claquement de doigts faire et défaire le pouvoir, les carrières et les contrats, plus efficacement que le faible président Dacko.

Eviter un mécontentement populaire contre la France

Mansion, surnommé par certains « Lucky Luke » en raison de son côté longiligne, était craint par tous, président ou simples citoyens. Un jour où un Mirage français s’était écrasé au décollage sur une école coranique de Bangui, tuant de nombreux enfants, Mansion était parvenu à empêcher l’émeute qui couvait par sa simple présence, désarmé, au milieu de la foule.

La mission de Mansion : verrouiller la RCA au profit des intérêts stratégiques et économiques français, du moins tels qu’ils étaient perçus à Paris pendant la Françafrique.

Elle était loin l’époque des débuts du premier mandat de François Mitterrand, lorsque Jean-Pierre Cot, son éphémère ministre de la Coopération, assurait vouloir retirer la présence française du cœur de l’appareil d’Etat des partenaires africains de la France. Mansion n’était pas seulement au cœur de l’appareil d’Etat, il était l’Etat…

C’était également l’époque où le budget français assurait les fins de mois centrafricains, en dépit de tous les plans d’ajustement structurel du FMI, pour que les fonctionnaires soient payés en temps et en heure et ainsi éviter un mécontentement populaire inévitablement dirigé contre la France – mais sans réellement aider ce pays déstructuré à bâtir un avenir.

Nouvelle donne africaine ?

Jeudi matin, alors que les manifestants pro-Bozizé s’en prenaient aux intérêts français à Bangui, François Hollande a donné le signal d’une nouvelle donne :

« Si nous sommes présents, ce n’est pas pour protéger un régime, c’est pour protéger nos ressortissants et nos intérêts et en aucune façon pour intervenir dans les affaires intérieures d’un pays, en l’occurrence la Centrafrique. Ce temps là est terminé. »

La France, il est vrai, a fortement réduit sa présence militaire dans ce pays depuis des années, fermant notamment la base aérienne du nord du pays, et ne conservant que quelque 250 hommes à Bangui, un dixième des effectifs un temps concentrés dans ce pays.

Pour Bozizé, menacé par l’avancée d’une colonne de rebelles vers sa capitale, cette déclaration sonne comme un arrêt de mort, au moins politique.

Ne plus défendre les régimes en place à tout prix

Nicolas Sarkozy avait amorcé ce virage, malgré ses débuts désastreux sur le sol africain avec son discours de Dakar. Il avait renégocié les accords militaires secrets qui liaient la France à ses anciennes colonies d’Afrique, pour en retirer le côté « assurance vie » des régimes en place qu’ils contenaient, un héritage de l’époque Foccart et ouvertement néo-coloniale.

Ne plus défendre les régimes en place à tout prix est assurément un signe de changement pour la politique africaine de la France. Mais cela ne fait pas encore une « autre » politique.

La Centrafrique n’est pas le meilleur laboratoire pour expérimenter de nouvelles formes de coopération entre la France et ses ex-colonies. Au moins, ce pays au destin tragique, toujours en quête de stabilité politique, aura-t-il servi de signal à ce que Paris ne fera plus, promis-juré.

Le Mali et la future intervention plaçant les Africains en première ligne sera un autre test des intentions, et de la capacité de la France à agir différemment sur le continent.

Après un demi-siècle de relations franco-africaines qui laissent un goût amer, pour les deux côtés, tout est à réinventer.

Source: rue 89

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