La lettre de Manning à Obama; condamné à 35 ans de prison
Pour avoir transmis plus de 700 000 documents secrets à Wikileaks, révélant au monde les bavures et fautes meurtrières de l’armée américaine en Afghanistan, ce qu’il appelait lui-même du porno guerrier. Motif de cette condamnation ? L’espionnage. Alors qu’il s’apprête à passer plus de temps qu’il n’a vécu jusqu’à présent derrière les barreaux d’une prison, Manning a adressé une lettre au président Obama, diffusée par l’Associated Press.
Manning a prouvé qu’un gouvernement ne saurait rester parfaitement intouchable quand il commet les pires exactions. Il a souhaité, par son action, que les crimes d’une armée, même en temps de guerre, soient visibles et publics — parce que cette même armée prétend servir le peuple. Pour beaucoup, il restera un héros qui n’a pas su respecter les ordres de sa hiérarchie quand il a estimé qu’ils étaient contraires à toute éthique. Quelle que soit la décision finale du président Obama, sa lettre restera la preuve de son courage et de sa détermination à faire triompher ce qu’il estime juste.
Lettre traduite de Manning Bradley
Les décisions que j’ai prises en 2010 sont nées de mon inquiétude pour mon pays et pour le monde dans lequel nous vivons. Depuis les événements tragiques du 11 septembre, notre pays est en guerre. Nous sommes en guerre contre un ennemi qui a choisi de ne pas nous affronter sur un champ de bataille traditionnel, et de ce fait, nous avons dû modifier nos méthodes de combat contre les risques encourus qui pèsent sur notre pays et sur notre mode de vie.
Dans un premier temps, j’ai approuvé ces méthodes et j’ai volontairement choisi de défendre mon pays. Mais une fois en Irak et en lisant quotidiennement les rapports militaires secrets, j’ai commencé à m’interroger sur la moralité de ce que nous faisions. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que (dans) nos efforts pour affronter les risques posés par nos ennemis, nous en avons oublié notre humanité. Nous avons sciemment choisi de dévaloriser la vie humaine à la fois en Irak et en Afghanistan. Quand nous nous confrontions à nos ennemis, nous avons aussi tué des civils innocents. Et à chaque fois que nous avons tué des civils innocents, au lieu d’en accepter la responsabilité, nous avons choisi de nous cacher derrière le voile de la sécurité nationale et des documents classés top secret, afin d’éviter toute responsabilité publique.
Dans notre zèle à tuer l’ennemi, nous avons débattu en interne sur la définition de la torture. Nous avons retenu des prisonniers à Guantanamo pour une durée indéterminée. Nous avons délibérément fermé les yeux sur les tortures et les exécutions du gouvernement irakien. Et nous avons commis d’innombrables autres actes au nom de notre guerre contre le terrorisme.
Le patriotisme est souvent invoqué lorsque des actes à la morale douteuse sont défendus par ceux qui sont au pouvoir. Quand cet élan de patriotisme noie toute contestation basée sur la logique, ce sont généralement les soldats américains qui ont l’ordre de mener quelques missions mal conçues.
Notre nation, au nom des vertus de la démocratie, a eu des heures sombres similaires – La Piste des larmes, l’affaire Dred Scott, le Maccarthysme, et les camps d’internements americano-japonais, pour en citer quelques uns. Je suis convaincu que plusieurs actions menées depuis le 11 Septembre seront un jour vues de la même manière.
Comme l’a dit le regretté Howard Zinn une fois, « Il n’y a pas de drapeau assez large pour couvrir la honte de tuer des personnes innocentes ».
Je comprends que mes actions aient pu violer la loi ; je le regrette si elles ont porté atteinte à qui que ce soit ou menacé les États-Unis. Cela n’a jamais été mon intention de blesser quiconque. Mon seul souhait était d’aider les gens.
Quand j’ai choisi de divulguer des informations classifiées, je l’ai fait par amour pour mon pays et par sens du devoir envers les autres.
Si vous refusez ma demande de grâce, je purgerai ma peine tout en sachant que parfois, il faut payer le prix fort pour vivre dans une société libre. Je payerai ce prix avec fierté si cela signifie que nous pourrons avoir un pays qui soit vraiment conçu suivant le principe de liberté et dédié à la règle que toutes les femmes et tous les hommes sont créés égaux.
Introduction par Julien Cadot, traduction par Jeanne Frank et Rachid Zerrouki.