journée internationale de l’Afrique! une foutaise?
Réjouissez-vous! Le changement africain, c’est maintenant. Le 25 mai, le monde -rien que ça- célèbre l’Afrique. Enfin, le continent est au centre des attentions! Sûr qu’au petit-déjeuner du 26 mai, il y aura des pains au raisin et des corn flakes au miel sous les tentes des camps de réfugiés. Sûr que le 27 mai, les derniers conflits du continent seront résolus par une batterie de traités de paix paraphés de petits cœurs.
Sûr que le 28 mai, l’Afrique aura dépassé les Objectifs du millénaire pour le développement pour devenir un réservoir de 54 pays émergents. Le berceau de l’Humanité n’en sera plus le linceul…
Vous en doutez ?
Ils y croient dur comme fer, pourtant, ceux qui vont dérouler le protocole de la Journée mondiale de l’Afrique. Ils «have a dream» chaque année, comme si c’était la première fois. C’est qu’on les aime, sur le continent, les colloques, les séminaires, les tables rondes, les conférences, les réunions, les symposiums, les assemblées générales, les briefings, les meetings, les conseils, les conciliabules, les pourparlers, les djandjobas et leur lot de discours, allocutions, interventions, exposés, déclarations, adresses, causeries, messages, mots, laïus, proclamations et autres manifestes.
Une bonne conscience à peu de frais
Sous prétexte d’événements commémoratifs successifs, on cause, on glose et on pause. La pause-café gratuite, c’est toujours ça de pris. Et avec un peu de chance, ces experts autoproclamés et leurs observateurs du dimanche cooptés n’auront pas sorti pour rien leur cravate la plus vive: il toucheront quelques perdiems (indemnités journalières). Quand, pour l’occasion, on a été détaché par son service, ça vaut le coup de bâiller aux corneilles.
Le soir, c’est lors du dîner de gala d’un «club service» que les bedonnants miraculeusement conscients et leurs dames patronnesses offriront leur poitrine brodée aux objectifs d’une presse sustentée pour l’occasion. Pour l’Afrique et sa misère, on offrira -en public sinon pourquoi?- la moitié des perdiems si peu mérités le matin même…
Le budget de la soirée, finalement supérieur au bénéfice, aurait permis de régler, plus tôt, bien des problèmes sociaux. Mais l’opération caritative aura fait d’une pierre deux coups dans la pyramide des besoins d’Abraham Maslow: au niveau des besoins physiologiques de quelque pauvre anonyme et au niveau des besoins d’estime d’un trop riche assailli de scrupules à l’annonce des Journées mondiales…
À quand une Journée mondiale des Journées mondiales?
Et il y en a des Journées «tire-larmes», mondiales bien qu’orientées vers l’Afrique: le 16 juin, la Journée mondiale de l’enfant Africain; le 8 août, la Journée internationale de la femme africaine; le 7 novembre, la Journée Internationale de l’écrivain africain; le 20 du même mois, la Journée mondiale pour l’industrialisation de l’Afrique; le 25 avril, la Journée mondiale du paludisme… À quand une Journée mondiale des Journées mondiales?
Celle du 25 mai, plus générique que les autres, célèbre l’anniversaire de la signature des accords de l’Organisation de l’Unité Africaine, le 25 mai 1963. Elle a pour ambition de «favoriser le rapprochement entre les peuples africains».
Mais la fête n’occulte pas les sempiternels records battus par le continent: un PIB par habitant dramatiquement bas, un développement économique chaotique et hétéroclite, un endettement lourd comme un container d’enclumes, des pénuries d’eau potable et des délestages électriques, un taux de séropositivité plus élevé que partout au monde…
C’est où l’Afrique?
Alors faut-il «célébrer» ou «commémorer»? Sans doute le bilan décevant de l’OUA n’explique-t-il pas, à lui seul, les tourments économiques de l’Afrique. Mais, à l’inverse, les contraintes économiques n’exonèrent pas le bilan décevant du «club de chefs d’État». Parce qu’elle n’évolue pas sur un continent où le confort invite à la somnolence, l’organisation continentale aurait pu transformer la révolte et la frustration en un puissant ressort politique.
Mais sur ce point aussi, et surtout, l’OUA, devenue UA, n’a guère offert de raisons de festoyer, ce 25 mai.
Pire, ce sont les organisations chargées de la suppléer dans le domaine économique qui prennent aujourd’hui l’initiative sur le plan politique. La Communauté… économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ne commence-t-elle pas à jouer en Guinée-Bissau ou au Mali le rôle que l’Union africaine avait échoué à assumer dans la crise ivoirienne?
Alors diantre! qu’est-ce que le monde célèbre en cette Journée mondiale? Les perdiems.
D’ailleurs, l’épithète “mondial” n’est-il pas lui-même un trompe-l’œil dans une apologie en trompe-l’œil? Qui sait, au Kazakhstan ou au Venezuela, que c’est la Journée de l’Afrique? Dans ces contrées, certains ne savent même pas où se trouve le territoire de Toumaï et Lucy. Le territoire de qui?…
Damien Glez
Damien Glez est un dessinateur burkinabé. Il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d’Afrique de l’Ouest. Retrouvez tous ses Coupé-Décalé
source: slateafrique.com