La situation syrienne lue par les pays du sud
Une foule aveuglée pense encore que le conflit syrien est celui de rebelles révolutionnaires contre les forces dictatoriales d’un régime archaïque. Pour seul indice, ces enthousiastes se réjouissent à l’idée qu’on destitue une famille après des décennies de monopole sur la présidence.
Oui, le message leur semble fort, à eux qui connaissent une alternance gauche-droite qui donne lieu à de vils débats sur les détails d’un programme politique essentiellement similaire. La tactique du pouvoir est moins subtile en Orient et elle transparait à l’oeil à peine plus averti du sujet occidental. Forts de cette belle preuve d’intelligence, ils suivent assidument la propagande d’état relayée par les médias dominants.
Pourtant, beaucoup d’informations, des copies de documents, des vidéos et des analyses qui leur permettraient de décrypter ce message médiatique unilatéral sont disponibles sur des sites internet alternatifs. Seulement, par paresse, par rejet viral des thèses dites« complotistes » ou par peur d’être manipulée par des organes qui seraient infiltrés par le gouvernement syrien et produiraient allègrement les faux que celui-ci leur fournirait, cette foule refusera toujours de se renseigner de cette façon. Alors à cette masse-là, qui ne se lasse souvent pas de commenter l’actualité d’un ton savant, voici ce que l’on peut sereinement affirmer : le message des médias, se faisant souvent le relai de sources peu diversifiées (AFP, Reuters et Al-Jazeera), est rempli d’impasses logiques et de mensonges transparents.
Oui, souvenez-vous, par exemple, avant qu’on adopte la thèse de la guerre civile en Syrie, avant qu’on ne parle d’un conflit armé, on vous vendait le récit de troupes qui fusillaient des manifestants pacifiques à bout portant. Pensiez-vous sincèrement que l’infâme Bachar El-Assad faisait régner la terreur à lui seul, alors qu’en Tunisie ou en Egypte, le reste tout aussi illégitime du régime d’Ali ou de celui Mubarak avait trouvé judicieux de congédier leur président seul pour mettre fin aux émeutes ? La solidarité et l’unité présente dans l’appareil d’État syrien aurait déjà du vous aviser d’un gouvernement plus légitime à Damas que dans les deux états cités précédemment. D’ailleurs, l’unité de ce gouvernement démontrée, pensiez-vous réellement que celui-ci ne soit pas capable de voir l’impact qu’auraient de telles barbaries, alors qu’en France, aux États-Unis ou en Angleterre on n’hésite pas à faire usage de matraques et de gaz lacrymogène pour réprimer les manifestants sans polémique ? Pensiez-vous une seconde que l’ensemble de l’appareil d’état syrien soit assez ignorant pour ne pas faire appel à des méthodes similaires, sachant que l’ensemble l’opinion internationale avait les yeux rivés sur leur pays ? Même Bahreïn avait fait preuve de plus de prudence… A moins, ne penseriez-vous pas, que lesdits manifestants pacifiques ne fussent à l’origine suffisamment armés pour rendre l’usage de ces méthodes impossible ?
Suite à l’amorce des hostilités, les autorités russes et chinoises court-circuitèrent la résolution de l’ONU, visiblement peu convaincus par la campagne médiatique occidentale et mettant encore une fois en lumière l’une des plus grosses arnaques philosophiques du vingtième siècle. En effet, sans élucubration historique (bien que pertinente), les Nations-Unies sont un organe qui permet d’imposer légalement la volonté des Puissants aux états faibles, pour peu que les Puissants soient d’accord entre eux. Ceci ne diffère pas des observations de Pascal et de La Fontaine avant lui. Ce qui était apparu aux yeux du monde comme un autre grand progrès humaniste n’est en fait qu’un outil de légitimation : au mieux, l’organe donne une base légale aux agissement des états du conseil de sécurité, au pire (ou au mieux pour les autres), il ne sert à rien. C’est ainsi que pour préserver le poids symbolique de l’ONU, ledit conseil s’était vu contraint d’être étendu au fil du temps et des évènements. Bref, les Puissants ne s’étant ici pas entendus, cette carte ne fonctionna pas.
Ce qu’on peut y voir, en plus du désaccord Russo-Chinois, c’est un jeu psychologique. De là qui existe aujourd’hui dissension parmi les états puissants, on aurait pu en présumer. Par contre, on ne savait pas si les états-dissidents oseraient s’affirmer et se réaffirmer. Les occidentaux ralliés à l’axe américano-sioniste, malgré le rapport de force actuellement équilibré (voir à leur désavantage), tentèrent de faire entendre à la Chine et à la Russie qu’ils avaient encore l’avantage en terme de puissance et d’influence. Ceux-ci ne se laissèrent pas bluffer et ce, malgré l’insistance affichée dans l’autre camps. Ce qu’on peut y voir donc, c’est un rééquilibre des forces sur l’échiquier géopolitique mondial et une perte de vitesse dans un camp dont l’élément fort est une nation sujette à 15% à la nécessité des coupons alimentaire et au chômages dans des proportions qu’on n’ose pas imaginer. Un dernier coup de bluff, donc, d’un empire américain en déchéance, un piège qui ne prit pas.
Pourtant, la presse occidentale persiste dans sa ligne de propagande et l’arrivée de mercenaires et d’armes ne tarit pas dans le camp des rebelles auto-proclamés, malgré le fait que l’armée syrienne semble parfaitement préparée et qu’elle écrase régulièrement les incursions des alliés de l’Axe. Pourquoi donc un tel acharnement, une telle surenchère sur une position qui s’évanouit de jour en jour ? La question inquiète : seraient-ce les prémices d’une troisième guerre mondiale planifiée ? Serait-ce un fanatisme mystique pour effrayer les foules islamiques avec l’acte auto-accompli de la prise de Damas ? Ou bien serait-ce alors un besoin géostratégique réellement urgent ?
Certains pensent à une « somalisation » de la Syrie pour affaiblir l’axe Téhéran-Moscou-Pékin. Ce serait un chaos bien coûteux, nécessitant d’être entretenu en permanence puisque la Syrie a prouvé sa force de résistance, un mauvais calcul, peut-on légitimement penser. Si l’on exclut la folie et la bêtise totale, comme on l’a exclue pour le gouvernement syrien, alors quelle solution nous reste-t-il ? Considérons un instant la situation ; laquelle voudrait qu’on laissât tomber la Syrie pour faire un gambit de désespoir sur l’Iran, risquant de créer une guerre aux conséquences probablement dramatiques ou alors que l’on ne prît pas ce risque du tout et que l’on laissât tomber définitivement la Syrie sans compensation. Au vu de l’absence de solution autre, il semble ici clair que l’on cherche à gagner du temps, le temps, par exemple, de subvertir la Russie, pour ne pas avoir à lui concéder une place dominante dans l’alliance atlanto-sioniste.
Enfin, ce temps gagné pourrait avoir d’autres vertus que la subversion de la Russie : en Syrie, comme dans les autres guerres qui suivirent le 11 septembre 2001, les autorités occidentales ont souvent largement outrepassé leur mandat populaire. Or, tant que le conflit s’était soldé par une victoire, il était possible de dissimuler nombre de faits de guerre (allant des motifs aux conséquences), puisque selon l’adage, les vainqueurs écrivent eux-même l’Histoire. Ainsi, avec la croissance des inégalités sociales et l’influence grandissante des mouvements occidentaux opposés à l’ingérence, il se peut qu’en Syrie, on joue l’une des dernières cartouches de l’Empire tel qu’on le connait et qu’il lui faille à tout prix gagner le droit d’écrire l’Histoire, avant que l’Histoire ne le rattrape.