L’hommage fracassant de Ngassa Happi à Nkougou Edima
C’est le coeur lourd et la plume légère et tranchante, que l’empereur honore koungou Edima et lance un ultime appel au chef de l’Etat camerounais Paul Biya, à sauver le football camerounais au fond du gouffre.
Prince Ngassa Happi Emmanuel, président du comité des sages de l’union sportive de Douala, le mythique club de foot camerounais, double champion d’Afrique des clubs en 1981 sous sa présidence; rend un vibrant et tonitruant hommage à Koungou Edima Ferdinand, Gouverneur du littoral, mais surtout, ancien dirigent du Canon de Yaoundé, l’autre club mythique de la capitale, décédé le 31 decembre 2012.
Voici l’intégralité de la lettre parvenue à notre rédaction ce matin. Accrochez vous…
« Mon cher ami,
J’ai été très touché par ton décès, et j’avais tenu à être présent à toutes les étapes de tes obsèques.
En effet, après la levée de corps du Vendredi, j’ai suivi le cortège jusqu’à ton domaine à Odza, à l’entrée du Complexe sportif de la BEAC, où je me suis recueilli pendant plus de deux heures, en pensant parfois à nos histoires. Ensuite, je t’ai accompagné jusqu’à ton village et, après un recueillement sur la tombe de la princesse, ta douce épouse, j’étais retourné à Yaoundé, pour revenir le samedi à ton inhumation. Tout ceci montre à dessein ce que tu représentais pour moi.
Maintenant, nos relations de plus de 40 ans m’obligent à respecter ton testament, en passant par les médias pour te rendre publiquement cet hommage
J’avais préparé ce témoignage pour te rendre un dernier hommage avant ton inhumation, dans le respect de ton testament mainte fois répétés, mais l’occasion ne m’a pas été donnée de la faire sur place. Peut-être que c’était une exigence malheureuse du Protocole, car tu a été toujours un homme du peuple. Les villageois qui pleuraient lors du passage de ta dépouille pour ton village sur au moins une quarantaine de kilomètres, cette messe obligée par les populations en plein air, ta visite officielle à Douala où toute la population sortie comme un seul homme, t’attendait depuis le fleuve Dibamba jusqu’à Douala, tout cela illustre de toute évidence, ce que tu étais pour le peuple, et que le protocole n’était pas de ton goût.
Je remercie le Présidente du Conseil d’Administration de Canon, Mme Céline EKO qui avait bien voulu m’accepter à ses côtés, car bien qu’arrivé à la tribune vide vers 9h, j’avais été refoulé derrière pour laisser les places de devant à ces Messieurs les Ministres et Hauts Commis de l’Etat. Bien sûr, j’étais un inconnu pour le protocole.
Maintenant, nos relations de plus de 40 ans m’obligent à respecter ton testament, en passant par les médias pour te rendre publiquement cet hommage que tu mérites plus que quiconque, c’est-à-dire livrer au monde une partie de notre vie.
Je voudrais néanmoins remercier le Comité d’organisation qui m’avait oublié, mais qui avait bien fait tes obsèques de manière extraordinaire, avec la touche notamment de ton Beau fils, M. LE Anderson, ton neveu Martin MBARGA NGUELE, le Professeur Robert NKILI, et j’en oublie certainement.
Il pleut dans mon cœur, comme il pleut sur la ville, quelle est cette langueur qui pénètre mon corps.
Il y a des moments où, après une victoire sportive, notamment après de grandes victoires sur la scène africaine, à l’occasion du congrès annuel du club, vous êtes fier et heureux de prononcer un discours victorieux devant des supporters contents et surchauffés, mais reconnaissez avec moi qu’il y a des moments tristes voire cruels où, seul, vous pensez surtout comme Paul VERLAINE disait tranquillement, et nous le citons : « Il pleut dans mon cœur, comme il pleut sur la ville, quelle est cette langueur qui pénètre mon corps. »
Oui, quand de Dakar au Sénégal j’avais appris la cruelle et triste nouvelle, seul dans ma chambre, comme un orphelin, j’avais passé deux heures à méditer, à revoir nos causeries depuis 40 ans que nous nous connaissions.
Oui, 40 ans de vie active et de sincérité, 40 ans d’amitié et d’estime réciproque.
Si la douce et calme Princesse Madame KOUNGOU EDIMA, paix à son âme, vivait encore, elle aurait insisté que je fasse effectivement mon intervention, car son feu mari lui avait dit à plusieurs reprises, que si quelque chose lui arrivait un jour avant l’Empereur et ami NGASSA HAPPI, il sera le seul sportif à intervenir à son enterrement.
Il est dommage qu’on ne m’ait pas donné l’occasion de la faire, pour respecter les prescriptions de ce testament.
M’étant posé souvent la question de savoir pourquoi il m’avait choisi comme son ami sportif à intervenir à ses obsèques, je n’ai jamais trouvé de réponse.
Parce que c’était lui; parce que c’était moi
Peut-être est-ce parce que nous avions beaucoup en commun, comme l’abnégation, la passion de la jeunesse, l’art de dépenser notre argent pour le bienfait du sport et de nos clubs, la finalité étant l’intérêt du Cameroun et du sport national, ou tout simplement, comme la Boetie et Montaigne : «Parce que c’était lui; parce que c’était moi». En effet lorsqu’on arrive à expliquer les raisons d’une relation, c’est qu’il y a des intérêts et, quand ces intérêts disparaissent, vous n’êtes plus des amis.
Oui, parce que c’était lui, parce que c’était moi.
Oui, c’était en 1970 chez le professeur René ESSOMBA, à l’époque Président de la Fecafoot, alors que j’étais Secrétaire général de l’Union Sportive de Douala, et surtout en 1973, quand j’ai été élu Président Général de l’Union Sportive de Douala, que Monsieur KOUNGOU EDIMA Ferdinand et moi nous sommes bien connus, et malgré ses affectations diverses, chaque fois nous nous retrouvions. Nous avons consolidé notre relation, surtout lorsqu’il était à Douala comme Contrôleur Financier, et ensuite comme Gouverneur, et Dieu seul sait, si de la descente de Préfet à Contrôleur financier, KOUNGOU avait oublié ses amis, je ne le pense pas.
Pour parler de nos deux équipes, lorsque Canon venait jouer à Douala, et comme nous habitions dans le même quartier, il ne manquait pas d’envoyer chez moi, les MANGA ONGUENE, MBIDA ARANTES et autres MOUNGAM pour venir me saluer, sachant bien que le lendemain, il y avait un match important de football entre Canon et Union. Il savait lui aussi très bien que je savais que les BASSOUA, BEP et autres de l’Union était en permanence dans son bureau au courant de la semaine. Il était clair que les joueurs de Canon et de Union de Douala aimaient leurs clubs, et quelque soit ce que je pouvais donner aux joueurs de Canon, quelque soit l’argent que KOUNGOU pouvait donner à mes joueurs, sur le stade, c’était un défi entre EKOULE, BEP et NKONO, un défi entre NDJEYA et MANGA ONGUENE ou MANGA ONGUENE et BELL Joseph Antoine, des défis personnels. C’était : « tu ne marqueras pas de but, tu ne passeras pas ». Après le match nos joueurs s’embrassaient quelque soit le résultat. Et lui et moi, on allait soit chez moi, soit chez lui boire notre champagne en rigolant.
j’ai été fait Commandeur de l’Ordre de la Valeur, grâce à celui qui est couché là devant vous.
C’est cet esprit, cette leçon que nous avons voulu montrer à la jeunesse, au peuple camerounais, aux yeux du monde. Que deux présidents et leurs joueurs pouvaient aller manger soit chez l’un, soit chez l’autre avant un match, et qu’après, nous étions sans aucune crainte.
Comment pouvez-vous vous imaginer, quand il a été nommé Ministre et que je venais le saluer, comme je n’aime pas le protocole, parce que ce n’est pas le Ministre que je venais voir, mais un ami ; et quand on me disait qu’il était occupé, j’avais fait du boucan, et heureusement, lorsqu’il entendait ma voix, il était sorti et avait demandé à son secrétariat s’ils ne connaissaient pas l’EMPEREUR DERNIER, et ordonnait immédiatement à son assistante d’appeler sa femme pour lui dire que j’étais là et que je mangeais à la maison à 13h. C’est ainsi qu’au lieu de rentrer à Douala à 12h comme prévu, c’était plutôt à 15h, et il était fier de dire qu’il avait réquisitionné l’Empereur dernier. Oui, pour moi, ce n’était pas une réquisition, mais un message d’affection et d’amitié personnalisée.
Comment pouvez-vous expliquer les raisons qui peuvent amener un ami un jour du mois d’Octobre 1993, à vous appeler pour vous demander : « Toi-là, Empereur dernier, tu as quelles médailles ? » Et moi de lui demander à quoi servaient ces décorations ? Il me répondit : « Il vaut mieux les avoir que de ne pas les avoir ». J’ai dit OK, car depuis que le Président Ahidjo m’avait décoré en 1979 Chevalier de l’Ordre de la Valeur, après la victoire de l’Union Sportive de Douala en Coupe d’Afrique des clubs champions, et en 1981 Officier de l’Ordre de la Valeur, après la victoire en Coupe des vainqueurs de Coupe, je n’avais plus eu de médaille.
Le lendemain, il m’avait envoyé son Chef de Cabinet pour remplir les formulaires. Aujourd’hui, je suis fier de dire le 20 mai 1994, j’ai été fait Commandeur de l’Ordre de la Valeur, grâce à celui qui est couché là devant vous.
Comment oublier un ami, Gouverneur de son état, qui vous dit un jour, je vais aller à Bana, pour passer le week end chez toi. Nous y sommes allés ensemble et le dernier jour, après avoir bien mangé et bien bu comme d’habitude notre champagne, je l’avais insulté en disant : « Voilà, tu dis que tu es mon grand frère, et chez moi, nous mangeons dans une salle différente du salon, alors que chez toi à Yaoundé, le salon et la salle à manger font une même salle, ce n’est pas normal, monsieur le Gouverneur ». Dieu seul sait, il a dit à tous nos amis sportifs que je l’avais insulté, et qu’il allait refaire sa salle à manger. Et pour tous ceux qui connaissent sa maison de Yaoundé, il a réaménagé une salle à manger de 25 à 30 personnes, et j’en suis fier d’en avoir été à l’origine.
Comment pouvez-vous oublier un ami qui, lorsqu’un Ministre des Sports l’avait nommé simple membre du Comité Exécutif Provisoire (CEP) de la Fédération Camerounaise de Football, alors que dans le même Comité il y avait un de ses anciens joueurs, de surcroît président. Immédiatement je suis allé chez lui à Yaoundé, devant son épouse, je l’ai sommé de démissionner, parce que c’était une honte, car si ce Ministre le respectait, il ne l’aurait pas nommé simple membre, mais Président d’honneur de ce Comité, et dans les 72h, il avait adressé sa démission. Ce sont là des signes d’affection, d’amitié secrète.
Je m’arrête là avec tous ces clichés, car je pleure quand je le vois couché là, inerte. Je ne sais plus à qui je vais téléphoner pour parler franchement des choses de notre pays sans avoir peur d’être dénoncé, je ne sais plus avec qui je peux discuter pour qu’on se dise la vérité, ou chez qui je pourrai aller tous les midis à Yaoundé boire tranquillement mon champagne, même s’il n’était pas là.
le Président Ahidjo m’avait surnommé EMPEREUR, KOUNGOU, lui m’appelait Empereur dernier.
Je pourrais passer toute la journée à raconter les itinéraires de notre relation, puisque je fais un témoignage qui traduit la solidité de nos relations, et surtout la profondeur de la tristesse qui m’angoisse aujourd’hui de savoir qu’au Cameroun, je n’ai plus d’ami qui soit un véritable dirigeant sportif.
KOUNGOU EDIMA Ferdinand était de ces hommes qui traduisaient sur le papier, j’en suis profondément convaincu, l’amour de sa patrie et sa fidélité au Président Paul BIYA, même lorsqu’il avait été déchargé brutalement de son poste de Ministre. Pour exemple, à Douala pendant les moments difficiles, je me demande en réalité, si KOUNGOU n’avait pas été là pendant les villes mortes, n’y aurait-il pas eu une véritable guerre ?
De par sa clairvoyance politique et son aisance sportive, ses amis étant les Benskineurs, le bas peuple qui lui donnait tous les renseignements, le calme était revenu. Dieu soit loué.
La leçon que nous avons tiré de cet ami, c’est qu’il faut savoir être avec les Ministres qui passent, mais aussi avec les petits qui sont toujours là, car fidèles à une amitié sincère et non louche et hypocrite.
KOUNGOU EDIMA Ferdinand dis-je, n’a pas seulement eu une dimension avec le seul Canon, mais une dimension nationale en football, car pour ceux qui le connaissaient, quand il était à Abong Mbang, où était l’équipe locale, et qu’est-elle devenue par la suite ? Qui a fait construire le stade de Bafang pour Unisport ? A Nkongsamba, qui a fait redorer le blason de l’Aigle ? A Sangmelima et même à Douala, combien d’équipes n’a-t-il pas soutenu ? En tout cas, il m’avait donné 3 millions en 1981, quand j’avais fait le doublé continental. C’était sa manière de traduire par des actes les idéaux du Chef de l’Etat, à savoir la consolidation de l’unité nationale par le sport.
Je pleure un ami, je pleure un confident, je pleure un grand sportif, et pour terminer, je voudrais vous dire qu’en pleurant KOUNGOU, bien sûr je pleure le football camerounais, car nous avons souffert, nous avons délaissé nos enfants, nos familles et sacrifié nos biens pour faire du Cameroun, un grand pays sportif.
Depuis que le Président Ahidjo m’avait surnommé EMPEREUR, KOUNGOU, lui m’appelait Empereur dernier. Je lui disais que j’étais Empereur 1er, car sur le plan sportif camerounais, que ce soit en handball, en basket-ball, en boxe ou en football, je crois être le seul dirigeant camerounais à avoir été champion national et africain dans plusieurs disciplines sportives avec l’Union Sportive de Douala, même si le Comité National Olympique n’a pas d’archives.
Oui je comprends aujourd’hui que je suis effectivement Empereur dernier, car lorsqu’on revisite l’histoire de notre sport de 1960 à 2013, de tous ceux qui ont fait vibrer notre pays sur les plans national et continental, je suis effectivement le dernier. MOUKOURY Ebénezer de l’Oryx est mort, KOUAM Samuel de Union est mort, TSANGA Soter et Martin OMGBA ZING du Tonnerre sont morts, NDONGO ALEGA Martin de Canon est mort, NGOMPE ELIE de Racing est mort, Dr PANKA de Aigle de Dschang est mort, NTAMACK Dieudonné de Dynamo est mort, DISSAKE du Caïman est mort, ONDOA François de Tigre est mort, KOUNGOU EDIMA du Canon est mort, et j’en passe. Mon ami KOUNGOU avait raison, je suis effectivement Empereur dernier.
Je voudrais seulement interpeller le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Paul BIYA, car lorsqu’il amenait Roger MILLA à la Coupe du Monde en Italie en 1990, personne ne lui avait rien demandé.
Oui je suis le dernier, parce qu’il y a un vide aujourd’hui dans le sport camerounais. Et en enterrant mon ami, je crois qu’ensemble, nous pleurons le football camerounais. La solide fondation que nous avons mise en place par notre souffrance n’a pas été consolidée. Depuis 1981 que Union a apporté la dernière Coupe continentale au Président Ahidjo, Son excellence Monsieur Paul BIYA attend toujours qu’un club camerounais lui en apporte une. Rien en 32 ans, car, de l’excellence d’hier à la médiocrité d’aujourd’hui, c’est tout simplement incroyable !
Je ne voudrais pas ici m’attarder sur une analyse profonde de notre football, je voudrais seulement interpeller le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Paul BIYA, car lorsqu’il amenait Roger MILLA à la Coupe du Monde en Italie en 1990, personne ne lui avait rien demandé. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il attend pour frapper la main sur la table devant la situation déplorable voire chaotique que vit notre football depuis des années. Le constat est là, amer, honteux et lamentable.
Au nom de mon ami et grand frère KOUNGOU EDIMA Ferdinand, au nom de tous les anciens sportifs, au nom de tous ceux qui ont souffert pour que ce pays soit ce qu’il était hier, je lance un solennel appel public au Chef de l’Etat, de prendre ses responsabilités et de les assumer, car nous ne voulons pas que ce que nous avons construit soit détruit de notre vivant. Je souhaite qu’il m’entende, car nous pleurons, et je suis sûr que nous pleurons avec lui ; et en tout état de cause, nous allons lui écrire officiellement, car on est fatigué d’avoir cette honte chaque année.
MATCH DE GALA KOUNGOU EDIMA Ferdinand
Je m’en voudrais de terminer mon témoignage sans dire qu’après consultation avec le Président du Conseil d’Administration de l’Union Sportive de Douala, le Président Franck HAPPI, et celui du Canon, Madame Céline EKO, j’ai décidé d’organiser chaque année un match de gala, tantôt à Yaoundé, tantôt à Douala, entre Canon et Union, une rencontre de retrouvailles baptisée « MATCH DE GALA KOUNGOU EDIMA Ferdinand ». Ainsi, le Cameroun se souviendra toujours de ce grand sportif émérite.
le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien
Il appartient aux Présidents des deux équipes de nous voir pour l’organisation pratique de la première édition à Yaoundé cette année.
Vanité des vanités, tout est vanité. KOUNGOU s’en va, demain, nous aussi nous partirons. Je voudrais seulement qu’ensemble, pour mon ami, nous pensions une seconde au Verset 1 du Psaume 23 de la Bible où il est écrit : « le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien ».
Oui mon ami KOUNGOU, le Seigneur sera ton berger et tu ne manqueras de rien.
Et sache surtout que je ne t’oublierai jamais, car tu resteras gravé dans ma mémoire. »
Le Doyen des dirigeants sportifs
du Cameroun (1968-2013)