Thuram veut des têtes
Affaire des quotas, suite. Avant de connaître les résultats de l’enquête diligentée par la Fédération française de football, Lilian Thuram s’est exprimé, dans une interview accordée ce lundi à Mediapart, en faveur du renvoi de toutes les personnes ayant souhaité limiter le nombre de joueur bi-nationaux dans les différentes équipes de France. Y compris Laurent Blanc.
Lilian Thuram n’en démord pas. Comme il l’avait fait dimanche dans Téléfoot, le latéral droit des champions du monde 1998 s’est montré très virulent, dans une interview accordée à Mediapart, à l’égard des protagonistes de l’affaire des quotas.
Du DTN, François Blaquart, à Erick Mombaerts, sélectionneur de l’équipe de France espoirs, sans oublier Laurent Blanc, le sélectionneur des A, Thuram réclame le renvoi de toutes les personnes « qui ont tenu ces propos » lors de la fameuse réunion du 8 novembre, en attendant de connaître les résultats de l’enquête ordonnée par la Fédération.
L’ancien défenseur de Parme et de la Juventus voit dans le débat sur la bi-nationalité de certains joueurs un « alibi » masquant une certaine forme de racisme. « Selon eux (les protagonistes de la réunion du 8 novembre, ndlr), il ne s’agirait que de diminuer le nombre de binationaux. Mais les discussions semblent vite concerner le seul continent africain. C’est ce qui est dérangeant. Les enfants binationaux sont-ils tous issus du continent africain ? Non évidemment. Alors pourquoi cette fixation ? Est-ce une volonté inavouable qu’il y ait moins de joueurs de couleur noire et de joueurs d’origine maghrébine ? Il est légitime de se poser la question, surtout après certaines conclusions de l’échec de l’Equipe de France à la coupe du monde 2010. »
Thuram : « Si on laisse passer cette situation… »
Thuram ne s’en cache pas. Il évoque un racisme inconscient de la part de certains dirigeants du football français. « Nous avons peut-être ici un reflet de la société, estime-t-il. Ce n’est pas étonnant que cela se passe dans le contexte actuel. Il est évident que dans les années 1980-90, on ne pouvait pas penser ainsi. Mais petit à petit, les vannes se sont ouvertes. Aujourd’hui, on va de plus en plus loin. La discrimination négative envers des enfants, est-ce imaginable ? Dans cette réunion, on voit apparaître la peur du nombre : ils deviennent trop nombreux, il faut qu’on fasse quelque chose ! Là encore, c’est de l’ordre de l’inconscient. Tous les mécanismes du racisme se ressemblent. »
Selon Mediapart, Laurent Blanc a déploré que la formation française se limite « au même prototype de joueurs : grands, costauds, puissants », évoquant ainsi le nombre de « blacks » dans les centres de formation. « Cela ne me surprend pas, réagit Thuram. L’histoire du racisme est liée à cette conception : le noir, c’est le corps avant tout. Mais comme nous vivons dans une société qui, en règle générale, sépare le corps et l’esprit, cela devient : le noir est très fort physiquement, mais pas très intelligent. Beaucoup de personnes, et peu importe leur couleur de peau, pensent de façon inconsciente ou inavouée qu’il y a un lien entre pigmentation de peau et intellect. Les préjugés ont la vie longue. »
Blanc dans le même bateau
Au final, Thuram réclame des têtes. Et n’épargne pas celle de son ancien partenaire de la défense des champions du monde 1998. « Je suis lié à vie avec Laurent Blanc car il m’a offert le plus beau cadeau qu’un enfant puisse rêver, la coupe du monde. Mais qu’il soit d’accord pour que l’on puisse discriminer des enfants de 12 ans, est-ce acceptable ? Je suis d’accord avec ce que MM Duchaussoy, président de la FFF, Noël Le Graët, vice-président, que j’ai eus au téléphone, ou même… Laurent Blanc ont dit : il faut renvoyer les personnes qui ont tenu ces propos. Encore une fois, nous ne pouvons pas nous permettre d’être hypocrites. Si on laisse passer cette situation, imaginez le message que l’on renvoie à la société. On banalise quelque chose de grave. Mais je ne suis pas sûr que l’on va prendre cette décision. »
Thuram souhaite donc que François Blaquart, suspendu provisoirement par Chantal Jouanno, la ministre des Sports, ne soit pas la seule victime. « Laurent Blanc a dit lui-même : ’Si certains ont cautionné un projet avec des quotas, il faut les punir’ », a conclu le recordman des sélections en équipe de France.