Les Ivoiriens expérimentent des dérives totalitaires sans précédent

Voilà sept mois qu’Alassane Ouattara, soutenu par la « communauté internationale », est devenu le président de la Côte d’Ivoire au détriment de Laurent Gbagbo et au terme d’une crise qui aura vu le pays se déchirer. Si l’inculpation de Gbagbo par la CPI a été largement médiatisée, la situation en Côte d’Ivoire est passée sous silence. L’ordre et la tranquillité sont pourtant loin d’être revenus comme le remarque le professeur Dedy Sery. Il pointe un bilan désastreux et condamne la recolonisation du pays par la France. (IGA)

Alassane Ouattara est président depuis sept mois. Comment se portent les Ivoiriens ?

Dédi Séry. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Ivoiriens dont la communauté internationale prétend qu’ils ont rejeté Laurent Gbagbo à l’issue du scrutin du 28 novembre 2010, regrettent ce dernier, au grand dam des soutiens extérieurs de Ouattara, le vainqueur. Ceci indique clairement que l’Occident a échoué. Et que le vrai vainqueur, c’est Laurent Gbagbo. Mais le drame de la Côte d’Ivoire est que les grands de ce monde ne peuvent pas et ne veulent nullement se déjuger, par arrogance. Sinon comment comprendre que ces grands dirigeants de grande tradition démocratique, assistent sans broncher au recul de l’Etat de Droit dans un pays comme la Côte d’Ivoire qu’on prétend avoir remis sur les rails de la démocratie ? Comment ces dirigeants peuvent-ils tolérer que des « forces indisciplinées et incontrôlées » – c’est le terme de Ban-Ki Moon lui-même – puissent contrôler une armée républicaine qui crée l’insécurité, au point que ces mêmes soutiens extérieurs délocalisent leur Ambassade à Dakar ou à Accra ou déconseillent carrément la destination Côte d’Ivoire à leurs ressortissants ? Est-il rationnel et politiquement correct que des démocraties comme la France et les Etats-Unis puissent soutenir, sur la place publique et en ce début de XXIème siècle, un système politique qui rappelle si étrangement la féodalité du Moyen Age avec ses seigneurs et vassaux unis davantage par des liens tribaux que par des règles impersonnelles ? En effet, chaque village, chaque quartier, du Nord au Sud et d’Est en Ouest de la Côte d’Ivoire, est aujourd’hui militairement occupé par des Dozos/FRCI venus de la CEDEAO, qui tuent et dévastent tout sur leur passage, depuis sept mois. Impunément ! Au vu et au su des forces Licorne/ONUCI et des ONG de défense des Droits de l’Homme. Tout simplement parce que les victimes sont des pro-Gbagbo.

Outre ce problème sécuritaire, il faut noter que la cote de l’économiste Ouattara est aujourd’hui bien plus pauvre que celle de l’historien Laurent Gbagbo. Depuis l’avènement de Ouattara, la vie des Ivoiriens sombre dans la précarité : il y a environ 2 000 000 de réfugiés/déplacés ; près de 200 000 personnes ayant perdu leur emploi ; 400 hauts cadres FPI/CNRD meurent de faim depuis le gel de leurs avoirs bancaires ; il y a des dizaines de prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles du régime des vainqueurs, avec la caution des grandes puissances de ce monde ; les prix des denrées alimentaires flambent ; les syndicats qui ont organisé 116 mouvements de grève totalisant 704 jours d’inactivité, de 2003 à 2010, sous Laurent Gbagbo, préfèrent aujourd’hui ne rien dire, ne rien entendre et ne rien voir. Cela veut dire qu’ils ont peur mais nous sommes d’accord que cette peur n’est pas un hommage rendu à Ouattara.

C’est plutôt à Laurent Gbagbo que l’on rend hommage, lui qui apparaît ainsi comme le chef permissif et démocrate par excellence. Ajoutons à cela un fait gravissime qui ne suscite, curieusement, aucune indignation de la part des soutiens extérieurs du nouveau régime : le pillage et la fermeture des Universités publiques de Cocody et d’Abobo-Adjamé, pour deux ans. Cela a pour conséquence un manque à gagner se chiffrant à 900 Doctorats, avec 77 000 étudiants jetés à la rue, sans compter 3 générations de bacheliers non inscrits et contraints à l’oisiveté. Depuis la disparition de Félix Houphouët-Boigny, c’est la toute première fois que les Ivoiriens expérimentent de telles dérives totalitaires.

Sur le plan institutionnel, l’Assemblée Nationale a été dissoute de fait et les Députés jetés à la rue, sans émoluments depuis le 11 avril 2011. Les organisations de défense des Droits de l’Homme ont fermé les yeux là-dessus, tout comme elles ont cautionné un découpage électoral des plus iniques et des plus ethnocentrique, la configuration tout aussi tribale de la CEI, les nominations illégales au Conseil constitutionnel, etc. Sur cette base, je puis dire que depuis sept mois, les Ivoiriens se portent très mal alors qu’on leur avait promis le bonheur dans la paix et la quiétude devant l’avenir.
Beaucoup présentent Alassane Ouattara comme un monstre froid et cynique. Comment vous, vous le décrivez ?

Pour avoir suivi la campagne électorale de Ouattara, mais aussi pour avoir suivi ses discours depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo par la France et sa déportation à Korhogo puis à La Haye, je sais que le Chef de l’Etat actuel affectionne les expressions de type « mon pays », « mes compatriotes », « mon frère Laurent Gbagbo ». Mais entre le dire et le faire, je note un gouffre consternant. D’après les ONG internationales qui sont généralement pro-Ouattara, les Dozos et FRCI ont tué et continuent de tuer des milliers de pro-Gbagbo, c’est-dire les compatriotes de Ouattara ; mieux, parmi les milices et FRCI qui ont déferlé sur la partie Sud de la Côte d’Ivoire à partir du 17 mars 2011, on dénombre des gens venus de presque tous les pays de la CEDEAO. Ce qui donne à la Côte d’Ivoire, l’image d’un pays occupé et en voie de recolonisation par la sous-région. Voilà ma première observation. La deuxième concerne la problématique de la réconciliation. On se souvient que pour réconcilier les Ivoiriens (octobre-décembre 2001), Laurent Gbagbo avait fait rentrer d’exil ses principaux adversaires politiques de l’époque : Ouattara, Bédié, Guéï. Mais à son tour, Ouattara entend réconcilier « ses compatriotes » sans Laurent Gbagbo et ses partisans qui représentent pourtant au moins 46% de la population si je m’en tiens au résultat de la communauté internationale. C’est dire qu’on est en présence d’une réconciliation non-inclusive de la part d’un leader qui a été soutenu par les puissances extérieures parce qu’il était victime de pratiques d’exclusion de type « ivoiritaire ». Ouattara vient même de faire extrader son « frère Laurent Gbagbo » à La Haye, non pas à la demande de ses « compatriotes ivoiriens », mais sur injonction de Paris : peu avant cette déportation, le ministre français des Droits de l’Homme estimait que la réconciliation des Ivoiriens passaient par l’extradition de « son frère Laurent Gbagbo ».

Est-ce ainsi qu’on traite un frère ? Est-ce ainsi qu’on doit désormais traiter les frères ? Autant de questions qui incitent les compatriotes de Ouattara à dire qu’il veut toujours une chose et son contraire. Voilà pourquoi ils ont du mal à le suivre. J’en veux pour preuve les cris de désapprobation qui ont surgi et continuent de secouer cette coalition à propos de la déportation d’un frère : Djédjé Mady, président du Directoire dudit RHDP a parlé d’une « déchirure profonde dans le tissu national ».
Que répondez-vous à ceux qui disent que la France dirige la Côte d’Ivoire avec Ouattara comme homme de mains ?

Cela est une évidence. Ouattara a demandé à la France de maintenir la Force Licorne sur le sol ivoirien aussi longtemps qu’il restera au pouvoir, contrairement à la position de Laurent Gbagbo qui, lui, avait demandé le départ de la base militaire française de la Côte d’Ivoire.

Or une présence militaire étrangère dans un pays indépendant n’est rien d’autre que l’expression d’un assujettissement politique. Si à cela vous ajoutez l’assujettissement économique en termes d’endettement, de contrats de gré à gré, de bradage des ressources stratégiques, vous obtenez non pas la domination mais l’esclavage. En effet, François Fillon a révélé, le 14 juillet 2011, que c’est la France qui paye les fonctionnaires ivoiriens ! Du jamais vu sous Laurent Gbagbo dont le pays était pourtant coupé en deux et qui avait des raisons objectives de ne pas pouvoir payer les fonctionnaires ivoiriens. Une confidence : de 1960 jusqu’en 1979, 80% des conseillers techniques au sommet de l’Etat ivoirien étaient des expatriés français. De juin 1980 jusqu’au 11 avril 2011, ce sont les Ivoiriens eux-mêmes qui ont géré leurs propres affaires dans les différents cabinets ministériels. Ce que nous constatons donc depuis la chute du régime de Laurent Gbagbo, c’est bien le retour massif de ces expatriés pour la recolonisation de la Côte d’Ivoire.
Il paraît que Ouattara a donné l’ordre aux chasseurs Dozos et à ses milices de dégager les rues. A-t-il les moyens de chasser ceux qui l’ont porté au pouvoir ?

Je réponds à cette question par la négative et les preuves ne manquent pas pour démontrer que Ouattara n’a pas les moyens de chasser les Dozos/FRCI qui l’ont porté au pouvoir. Ces derniers, une catégorie particulière de Forces Républicaines, défient tous les jours leurs chefs, indiquant qu’ils ne quitteront la rue ou qu’ils continueront le trouble dans les villages, hameaux et quartiers du pays aussi longtemps que Ouattara ne leur donnera pas leur part du butin de guerre : il leur aurait promis 5 000 000 de FCFA par combattant, des villas ou des véhicules, promesses qui tardent à se concrétiser dans leurs mains. D’où les slogans hostiles à l’endroit du pouvoir actuel. On peut donc dire qu’à chaque catégorie socioprofessionnelle et à chaque époque ses prisonniers. La population ivoirienne est otage des Dozos/FRCI ; le gouvernement actuel est prisonnier des Dozos/FRCI ; ce même régime dépend de ses appuis extérieurs ; lesquels appuis extérieurs dépendent de leurs contribuables respectifs en cette période de crise économique et financière sévère (…). Tout est dans le tout. Et c’est cet enchevêtrement des choses qui passionne les observateurs nationaux et internationaux de la scène politique ivoirienne
La peur de se retrouver aussi un jour à La Haye ne va-t-elle pas pousser Ouattara et ses seigneurs de guerre à s’éterniser au pouvoir ?

S’éterniser au pouvoir pour échapper à la rigueur de la CPI ? C’est possible. C’est aussi légitime, humainement parlant. Mais je me demande si la longévité politique d’un système dépend forcément et toujours de la volonté de ses dirigeants. Cependant, j’avoue que votre question est quelque part judicieuse dans la mesure où près de la moitié des ministres du gouvernement Ouattara-Soro viennent de se donner une carapace d’immunité parlementaire en se faisant élire Députés lors de la dernière mascarade électorale du 11 décembre 2011. Mais ce parapluie me paraît d’une extrême fragilité au regard de l’humiliation que les Députés de la dernière législature ont vécue : avec (…) l’arrestation du Président Gbagbo le 11 avril 2011, l’Assemblée Nationale n’a-t-elle pas été dissoute de fait en violation de la Constitution ? Des Députés comme Simone Ehivet-Gbagbo n’ont-ils pas été jetés en prison alors qu’ils bénéficiaient d’une immunité ? L’histoire est une école de la prudence et de la circonspection. C’est pourquoi, à mon avis, l’on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne souhaite pas pour soi-même.
Pour Guillaume Soro, le manque de repentance serait le point clé du transfèrement du président Laurent Gbagbo à La Haye. Que lui répondez-vous ?

Cette déclaration de Guillaume Soro est la preuve même d’une collusion entre le régime actuel et sa justice, la justice des vainqueurs. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, le Premier ministre Soro n’est pas bien placé pour parler de repentance. Et puis si repentance il doit y avoir, qui doit le faire et dans quelle circonstance ? En effet, qui dit repentance dit procès. Mais peut-il y avoir procès sans toutes les parties au conflit ? Voyez-vous, par arrogance et par manque d’humilité, on avance des propos qui se liguent contre le bon sens.

Charles Konan Banny n’a toujours pas démissionné de la commission vérité réconciliation …

Si Charles Konan Banny n’a pas démissionné, c’est tout simplement parce qu’il se sent bien dans sa peau là où il est. Il pouvait bien démissionner s’il ne partageait pas la conception de la réconciliation version Ouattara. Celle-ci consiste à ouvrir des procès, à condamner et à réconcilier de façon concomitante, dans une perspective de justice des vainqueurs à la Nuremberg. Je suis convaincu qu’il ne réussira jamais sa mission aussi longtemps que les vainqueurs continueront de tuer, d’emprisonner, disons d’animaliser les pro-Gbagbo.

Et puis, une question d’ordre purement éthique me rend pessimiste quant à ses chances de réussite dans la mission qui est la sienne. Charles Konan Banny fait partie de la galaxie des anti-Gbagbo. Or, tout effort de paix authentique de la part d’un médiateur s’inscrit obligatoirement dans l’impartialité et la neutralité… On observe cela chez les animaux non humain, notamment les gorilles, on l’observe tout naturellement chez les animaux humains, qui ont la prétention d’être plus éthique que les grands singes. L’exemple de Desmond Tutu en Afrique du Sud est là pour le prouver.

On a encore en mémoire l’économiste en pleine campagne qui construira une université chaque année, des hôpitaux… Vous le croyez encore ?

Eh oui ! La période de la campagne électorale est terminée, bien loin derrière nous ! Le camp Ouattara avait promis, dans le plus pur style démagogique, beaucoup plus de choses que possible. Il l’a fait tout simplement parce qu’il voulait se donner de la consistance aux yeux de l’opinion. C’est dans cette logique publicitaire qu’il a promis une Université et des hôpitaux chaque année. Mais on notera que l’économiste Ouattara n’a pas indiqué préalablement le lieu d’implantation de ces infrastructures culturelles et sociales alors qu’il envisageait une politique de décentralisation. Lui qui disait en 2000 que le système d’Assurance Maladie Universel proposé par Laurent Gbagbo était dangereux parce que coûteux, a pu promettre des hôpitaux et des Universités chaque année. Contradiction. Beaucoup de gens, surtout les analphabètes ont un moment accordé du crédit à ces promesses démagogiques, par ignorance.

Et voici que la réalité est beaucoup plus dramatique pour le camp Ouattara. Mais se rendant compte qu’il n’a même pas encore achevé la construction de la clôture de l’Université de Cocody, il envisage de saucissonner la pauvre Université, aujourd’hui entièrement saccagée. Du chapeau du prestidigitateur sortiront quatre Universités pour montrer qu’on aura réalisé ce qu’on a prévu. On tend ici vers une situation cocasse : sur ces ruines, on fera de chaque groupe d’UFR une Université : une Université de Sciences juridiques et Economiques ; une Université de Sciences et Techniques ; une Université de Lettres et Sciences Humaines ; une Université des Sciences de la Santé, etc.

En un tour de passe-passe, il aura réalisé ce qu’il a promis. Là encore, il va marquer contre son propre camp. Parce que pour créer une Université, il faut tenir compte de tous les paramètres de l’environnement, des aspirations des populations. Là où Laurent Gbagbo voulait décongestionner Abidjan en faisant construire une Université dans chaque pôle de développement régional, l’éminent économiste veut créer plusieurs Universités sur les ruines de Cocody. Comme ça ! Cette perspective n’est ni plus ni moins qu’un bricolage collectif et du faux, finalement. Mais un faux dangereux en tant qu’il crée de faux espoirs et ne fait pas avancer la cause du développement équilibré et durable.
  
Beaucoup d’analystes disent qu’en bloquant les Avoirs des dignitaires du FPI et en lançant des mandats d’arrêt internationaux, l’idée était d’affaiblir ce parti et par ricochet de se retrouver seul à l’Assemblée. C’est ça aussi votre avis ?

Je suis d’accord avec vous. C’est la preuve que sans l’affaiblissement forcené d’un parti redoutable comme le FPI, le RDR n’aura jamais le sommeil tranquille parce qu’il redoute les joutes démocratiques. Il ne peut pas durer sans la violence. Ce qu’il faut au RDR, c’est moins un contexte de lutte institutionnelle, à armes égales, qu’une dictature ou système oligarchique, comme c’est le cas aujourd’hui. Le contexte que nous vivons est celui d’une dictature qui dépasse de très loin le système de parti unique sous Félix Houphouët-Boigny. Les historiens diront que Houphouët-Boigny avait besoin de moins de kalachnikov et de matraques pour imposer sa dictature à une population quasiment analphabète et en contexte de guerre froide

Aujourd’hui, les héritiers du père de la Nation, pour répondre aux tenants de la boulimie néolibérale, ont besoin de plus de moyens anti-démocratiques et déshumanisants face à un peuple ivoirien de plus en plus intellectualisé, donc plus exigeant. Mais cette force barbare imposée à la Côte d’Ivoire de 2012 n’a pas beaucoup de chance de prospérer, en raison justement de ce capital intellectuel national. On comprend pourquoi ce régime s’acharne contre l’Université. La Côte d’Ivoire est un petit pays mais qui est sur le point de rallier à sa cause bien des consciences éprises de liberté et de justice de par le monde. Je pense plus particulièrement à nos Diasporas africaines (Cameroun, Togo, Angola, Afrique du Sud, Ghana, Gambie, etc.) ainsi qu’aux représentants de la Gauche occidentale (Jean Ziegler, Michel Galy, Guy Labertit, Albert Bourgi, etc.).

Finalement l’UE comme les Etats-Unis n’ont pas trouvé bizarre que Ouattara aille seul aux législatives avec son groupe politique. Comment vous l’expliquez ?

 

Nous sommes dans une logique implacable, celle des connivences diplomatiques que l’on constate aussi bien en amont qu’en aval des crises que traverse la périphérie du monde capitaliste. Non seulement tout a été mis en œuvre par l’UE et les Etats-Unis pour noircir, diaboliser et renverser Laurent Gbagbo, tout simplement parce qu’il n’est pas leur homme, mais aussi ces soutiens observent un silence coupable face aux dérives oligarchiques de leur homme. Ils auraient parlé de bizarrerie, crié haro sur le baudet si c’est Laurent Gbagbo qui était allé seul aux législatives avec son parti, le FPI. Vous savez, chez les mondialisateurs, la démocratie est un système à géométrie variable.

Bernard Kouchner ne demandait-il pas début mars 2011 à la Droite Occidentale de soutenir Hamid Karzaï quand bien même il serait corrompu, car « c’est notre homme ». De la même manière, les Etats-Unis, l’UE, le Canada soutiennent aujourd’hui Ouattara parce qu’il n’est pas Gbagbo, leur ennemi juré. Voilà pourquoi les soutiens extérieurs de Ouattara se contentent de « soupirs diplomatiques » face aux dérives totalitaires de leur homme. Sans conséquence aucune pour le régime qu’ils ont mis en place. J’appelle « soupirs diplomatiques », les mesures hypocrites qui consistent, par exemple, à délocaliser une Ambassade ou à déconseiller à des ressortissants la destination Côte d’Ivoire.

Ce sont là des mesures en trompe l’œil, donc complaisantes qui montrent le degré d’hostilité de la Droite Occidentale vis-à-vis des dirigeants « d’Outre Mer » peu accommodants. Entre « ces mesures » et les différents embargos économiques, financiers et pharmaceutiques contre le peuple ivoirien et ses dirigeants, en décembre 2010 – janvier 2011, il n’y a aucune comparaison possible. C’est un racisme idéologique qui s’est surajouté au racisme biologique dont souffre le monde non occidental, depuis le XVIème siècle.

Ouattara veut 13.000 milliards pour reconstruire la Côte d’Ivoire là où Gbagbo refusait l’aide. Qu’est-ce qui fait la singularité de Laurent Gbagbo ?

 

Laurent Gbagbo est l’enfant du peuple ivoirien. Il aime son peuple et son peuple l’aime. Et c’est parce qu’il aime son peuple qu’il est foncièrement souverainiste, c’est-à-dire un dirigeant jaloux de l’indépendance et de la dignité de son pays. Voilà pourquoi il a horreur de faire endetter cruellement la Côte d’Ivoire. La dette n’est rien d’autre qu’un assujettissement économique qui se transforme, tôt ou tard, en dépendance politique et idéologique sur plusieurs générations. Laurent Gbagbo n’en voulait pas du tout.

C’est pourquoi il ne pouvait pas être aimé et soutenu par ceux qui prospèrent à partir de l’endettement massif des pays du Tiers-monde : le FMI, la Banque Mondiale et tous les spéculateurs néolibéraux. Et je suis sûr que c’est son souverainisme qui a été perçu comme un péché capital et qui est à l’origine de cette haine anti-Gbagbo. Voyez-vous, la gbagbophilie a débouché sur les bombardements du 11 avril 2011. On voit donc que Ouattara est l’ami naturel du monde libéral qui ne prospère que sur l’endettement des pays faibles et sans défense. Entre Ouattara, le représentant de la boulimie néolibérale et Laurent Gbagbo, le porte-drapeau du socialisme démocratique, donc du souverainisme, il y a une différence de nature perceptible à travers le traitement infligé au Woody de Mama à l’occasion d’une simple controverse électorale.

Interview réalisée par Camus Ali ,Lynx.info, le 6 janvier 2012

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