Un Wallon au Congo
Thierry Michel n’était pas destiné à devenir une célébrité congolaise. Pourtant, à 59 ans, deux décennies et quatre longs métrages après son premier film sur le plus grand pays d’Afrique subsaharienne, le documentariste fait partie du paysage du Congo.
Avec la sortie de L’Affaire Chebeya, un film consacré au procès qui a suivi l’assassinat de Floribert Chebeya, dirigeant de La Voix des sans voix, une organisation de défense des droits de l’homme indépendante du pouvoir, Thierry Michel se retrouve à nouveau au centre de polémiques, à la fois témoin et acteur de l’histoire tumultueuse du pays.
Certes, le cinéaste est belge, et le lien qui unit l’ancienne puissance coloniale à la République démocratique du Congo (ci-devant Congo Kinshasa et Zaïre) reste plus fort et affectif que les relations entre la France et ses ex-colonies africaines. Mais pas de colons dans la famille de cet enfant du pays minier wallon, simplement une furieuse envie de voyager née d’une enfance confinée. Cette bougeotte se combine avec une activité militante d’extrême gauche qui mène Thierry Michel d’abord en Algérie, puis au Brésil.
« C’est là que j’ai découvert la culture africaine. Des amis congolais insistaient pour que je vienne filmer chez eux. » Quand il part pour Kinshasa, le cinéaste espère suivre la transition démocratique. On est fin 1991, le maréchal Mobutu a été obligé de faire des concessions. Bientôt les troupes du régime mettent le pays à sac, prétextant le non-versement de leur solde. Thierry Michel est là, avec sa caméra. « C’était chaos, mode d’emploi, se souvient-il. Le régime jouait la violence, l’organisation des pillages. » Le réalisateur filme la destruction de Kinshasa, l’engrenage politique permet aux prédateurs de se maintenir au pouvoir. Zaïre, la trace du serpent sort en 1992 et fait le tour du monde, de festival en festival. Thierry Michel décide de filmer la fin de cette dictature, qui se fera encore attendre cinq ans.
En 1993, le documentariste est jeté en prison par la police mobutiste « pour intelligence avec une puissance étrangère ». Il faut l’intervention des ambassades occidentales pour le libérer, sans son matériau. Du coup, il réalise Mobutu, roi du Zaïre à partir d’archives, le portrait d’un despote qui mit en scène quelques-unes des pires tragédies du siècle.
Un réseau de complicités
Dans les années qui suivent la chute de Mobutu, Thierry Michel parcourt la toute nouvelle République démocratique en suivant le fleuve, jusqu’à ses sources. Congo River (2005) est une fresque impressionnante dont la réalisation a suscité la naissance d’un réseau de complicités dans tout le pays. Quatre ans plus tard, il filme la ruée minière dans Katanga Business, dont le héros est le premier ministre de la province, le très charismatique Moïse Katumbi.
Lorsque, en juin 2010, le cinéaste, qui a entre-temps tourné en Iran et en Belgique, apprend la mort de Floribert Chebeya, il part pour Kinshasa. En un an, il fera sept voyages, suivant l’enquête, puis le procès qui a suivi la mort du militant.
L’Affaire Chebeya dénonce l’assassinat, sordidement camouflé, d’un homme tombé aux mains de ses ennemis : la police du nouveau maître du Congo, Joseph Kabila. Mais ce film est aussi « une comédie moliéresque », qui montre un système judiciaire contradictoire, inimaginable sous la dictature. Pour tourner dans le prétoire où s’affrontent avocats élevés chez les jésuites et magistrats militaires formés dans les académies françaises ou belges, Thierry Michel s’est adressé directement à ces derniers, court-circuitant le ministre de la justice. « C’est vrai, je suis devenu un acteur de la pièce, convient-il. Le tout est de ne pas se laisser instrumentaliser. »
Après des avant-premières houleuses en Belgique (l’opposition à Joseph-Désiré Kabila lui demandant de prendre fait et cause pour le candidat malheureux à la présidentielle, Etienne Tishisekedi), Thierry Michel s’apprête à présenter son film dans tout le Congo. « Je suis le seul cinéaste à être en mesure de le faire », dit-il fièrement.
source: lemonde.fr