Rencontre avec Yvoire de Rosen; l’afro-féministe aux talents multiples
« On croit normal de se forcer à avoir les cheveux lisses et la peau claire. »
Yvoire de Rosen est connue par le grand public belge comme présentatrice météo sur la chaîne BX1 (ancien Télé Bruxelles). Une fonction visible dont-elle n’est pas peu fière, même si ses compétences vont bien au delà de ces passages télévisés. Anthropo-sociologue de formation, elle est professeure de communication en master, présentatrice d’événements hors pair et surtout afro-convaincue.
Depuis la fin de ses études, elle a fait des identités afro-descendantes sa spécialité. Au travers de ses activités multiples, elle garde en trame de fond ce sujet essentiel à ses yeux. Yvoire est en quête de compréhension des enjeux socio-politiques qui résident derrière les questions d’appropriation et de revendications culturelles à travers le cheveu, la mode, le corps, le travail des apparences. Mais aussi les représentions des femmes afro-descentantes.
« j’étudie les pratiques des modes vestimentaires et capillaires des personnes afro-descendantes car je cherche à comprendre les enjeux identitaires qui se cachent derrière».
C’est dans cet élan qu’Yvoire vient de fonder le premier collectif afro-féministe belge dénommé Mwanamké. Il ne faut donc pas s’y méprendre, derrière ce visage et ce look star système, se cache une femme engagée au coffre plein et à l’idéologie bien tissée.
Entretien…
Présentez nous ce collectif Mwanamké
Mwanamke signifie femme en Swahili, il s’agit avant tout d’un espace de dialogue, d’échanges, de réflexion autour des problématiques spécifiques, d’expériences de femmes noires. Nous organisons des rencontres, conférences, projections,… Notre collectif s’inscrit dans les luttes séculaires menées par les femmes africaines et afro-descendantes sur le continent africain et dans la diaspora pour leur libération et leur émancipation. Face aux multiples oppressions subies par les femmes noires, nous voulons lutter pour l’ autodétermination et l’autodéfinition de celles-ci dans nos communautés ainsi que dans la société occidentale.
Où vous situez-vous dans cette nouvelle mouvance Nappy (retour aux cheveux naturels)
Énormément de gens prennent conscience de l’héritage culturel qui existe à travers le cheveu et en ont marre des dictats de l’apparence qui règnent. Les gens ont envie de s’accepter tel qu’ils sont et de s’affirmer pour ce qu’ils sont. Ils veulent se libérer d’une norme dont on est tellement imprégné même de façon inconsciente qu’on croit normal de se forcer à avoir les cheveux lisses et la peau claire.
N’est-ce pas un peu radical ? On a l’impression qu’il s’agit plus d’un refus contestataire que d’un véritable retour aux sources.
Oui et non. Oui parce que dans chaque mouvement de changement, il y a toujours un risque de radicalisme et d’extrémisme, mais dans cette mouvance du retour au cheveu naturel, il y a celles qu’on appelle les « nappex », une combinaison de nappy et extrémistes. Il s’agit de personnes assez virulentes qui selon elles, ne pas porter des cheveux naturels est sans aucun doute un signe d’aliénation… Après il y a juste des activistes qui prônent l’acceptation de soi sans plus. Ce que je pense important c’est de ne pas ramener cette revendication à une mode, car la mode se définit par des tendances, c’est éphémère, ça passe et ça se renouvelle. Or notre cheveu est un trait somatique, un héritage génétique et nous les africains sommes le seul peuple dont la texture du cheveu est crépue.
La mode a tout aussi pu influencer cette prise de conscience…
En effet, il y a certainement eu des influences de la mode qui ont poussées certaines à s’affirmer, car ces dernières années, le cheveux crépu a été un peu glamourisé.
Au delà du cheveu naturel, votre style à vous est très osé
Oui, pour moi, ma façon de m’habiller et de me coiffer est un mode d’expression avec une dimension d’affirmation et de revendication ; car dans mon rôle à l’Ethno Tendance et à la Télévision, c’est important car je constitue pour pas mal de gens qui me le disent un exemple. Certains peuvent s’identifier à moi de façon positive. Certains me disent souhaiter que leur fille porte comme moi des vêtements de créateurs afro-descendants ou des vêtements en tissu pagne. Certaines jeunes m’ont dit être prêtes à oser garder leurs cheveux naturels depuis qu’elles me voient à l’écran avec les miens.
Vos origines sont-elles la source de votre orientation, d’ailleurs quelles sont-elles ?
Je suis du Sénégal, du Mali et du Cameroun du côté de mon père. Dans ma famille maternelle, nous sommes une quatrième génération de métissage. J’ai des origines du Soudan, de l’Angola, du Congo, de la Belgique, du Portugal de la France et de la Suède. Au delà de mon origine, c’est mon éducation qui m’a influencée, car j’ai une mère qui est très panafricaine, qui s’est toujours battue pour l’affirmation de la culture africaine en Belgique, notamment il y a 25 ans quand elle a créé les african awards. J’ai grandi dans un environnement qui m’a poussé à me battre pour la visibilité des afro-descendants.
Est-il possible de nos jours, d’affirmer sa féminité tout en assumant sa négritude ?
C’est vrai que femme et noire c’est une identité complexe et c’est effectivement cela qui anime mon combat. Moi je me définis comme une activiste de l’image et de la beauté, car on souffre cruellement de représentativité à tous les niveaux de la société. En tant que femmes noires, on se situe à l’intersection de deux oppressions, l’une basée sur le genre et l’autre sur l’appartenance ethnique. A travers l’Afro-féminisme, nous mettons en place des outils pour combattre et déconstruire le sexisme et l’Afrophobie.
Qui sont vos modèles?
En ce qui concerne les personnalités modèles je dirais ma mère Cerina de Rosen, Marie Daulne de Zap Mama, Modi Ntambwe. Je pense aussi à Ayden, la productrice et présentatrice de mode de l’émission « planète mode », qui est une personne remarquable dont j’admire la carrière et qui est toujours disponible pour moi. je pense également à La sociologue Juliette Smeralda et la politologue Françoise Verges. Il s’agit de femmes qui ont quelque part une réelle influence dans mes représentations.
Vous avez un vrai bagage intellectuel. Vous sentez-vous privilégiée d’être à la télévision (BX1) et d’avoir le rôle que vous avez ?
Je me sens privilégiée d’être à BX1, parce que pour rentrer à la télévision, c’est quelque chose de très difficile, car il y a une demande qui excède cruellement l’offre. Moi j’ai eu l’opportunité d’avoir été repérée par le directeur de la chaîne qui m’a proposé de passer un casting qui était assez exigeant et par la suite ma candidature a été retenu.
Je vois ma place en tant que journaliste et présentatrice météo comme un tremplin dans ce secteur d’activité que j’aime bien. C’est l’occasion de découvrir un milieu, d’apprendre comment ça fonctionne et j’apprécie vraiment la marge de manœuvre qui m’y est donnée. Finalement j’y trouve mon compte car j’ai la possibilité de faire passer ma vision du monde et de la mode. Quand je vois le retour, je trouve cela magnifique. Je vois plus loin, et je suis consciente que faire la météo ce n’est pas ce que j’ai étudié, ce n’est pas ce à quoi j’aspire en premier, mais je comprends le pouvoir de diffusion et je suis bien contente d’être un visage afro-descendant à la télévision belge.
Il ne vous vient pas à l’idée de prendre votre envol en dehors de la Belgique ?
Pour l’instant je sens avoir ma place ici à Bruxelles, car il y a des choses à faire, j’ai envie de faire ce travail à travers la télévision, à travers la fashion week ethno tendance et à travers Mwanamké.
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