Rencontre avec Chantal Ayissi : Elle nous a tout dit !
Brukmer était à la rencontre de Chantal Ayissi. La Diva installée à Paris depuis 9 ans nous fait Etat de sa vision de la culture, de la jeunesse, de la vie. Dans un franc parlé déconcertant, la chanteuse n’hésite pas à évoquer sa vie privée. Elle tape sur qui fait mal et dénonce ! Les années passées et la légère grippe qui la soudoyait n’ont pas altéré un cheveu de sa beauté unanime. Elle nous a tout dit !
Bonjour chantal Ayissi, ravi de t’entretenir car tu es une diva Africaine. Tout d’abord, comment vas-tu ?
Bien, merci, Je suis honorée d’être avec vous aujourd’hui
Commençons par tes débuts. En bref, tu commence par le mannequina, et la chanson viendra par la suite.
Oui J’étais d’abord danseuse, j’ai été au ballet national, puis j’ai été hand-balleuse, j’ai joué dans les équipes civiles, mais j’ai du arrêter par la suite, parce que ça déforme un peu, ensuite j’ai fait le mannequina, et la chanson ensuite.
Comment tu y es arrivée ?
C’était après le festival de Dijon en 87. Quand je suis rentrée, je me suis dit qu’il fallait que je fasse autre chose. J’ai pensé que je pouvais ajouter une branche dans l’ensemble national car il y avait théâtre, danse… j’ai fait une demande pour qu’on puisse ajouter la chanson et c’est ainsi que j’ai commencé à prendre des cours de chant et voilà, jusqu’aujourd’hui je continue de travailler.
Tu as eu plusieurs albums à succès, et il n’y a pas longtemps tu étais la reine du bikutsi au Cameroun. Comment vis-tu aujourd’hui, l’arrivée des nouvelles starlettes, comme Majoi Ayi et Lady ponce ?
Moi je fais la carrière, je ne fais pas la tendance. Quand je parle de carrière, je me vois dans des pays comme les Etats Unis entrain de représenter le Cameroun, de représenter l’Afrique. C’est cette place là que je cherche. Je veux rester dans l’histoire de la culture africaine.
En d’autres termes, tu ne te vois plus au niveau camerounais !?
Ce n’est pas cela que je cherche depuis mon enfance ; j’ai d’autres visions. J’ai eu la chance de faire le ballet national et on m’a donné beaucoup d’autres critères dans l’art et ma façon de voir les choses est différente.
Je continue de travailler pour être reconnue dans le monde. J’ai eu la chance de faire des plateaux avec Michael Jackson en Afrique du sud, Steve Wonder, Diana Ross. J’ai eu à travailler avec des gens biens, j’ai côtoyé des légendes si bien que le mythe, je sais ce que c’est !
Finalement, au pays, je n’ai pas vraiment des exemples, le pays ne m’inspire pas car je vois ma vie autrement. Cependant, je ne peux qu’encourager les petites sœurs, car elles chantent même mieux que celles qui ont des noms. Je dis toujours ce que je pense, j’aime pas qu’on trompe les gens. Je trouve que ces enfants chantent bien. chacune a sa place ; avant il y avait mes grandes sœurs, elles m’ont donné une place. J’aime beaucoup Majoie Ayi, j’ai vu la petite Lady ponce et je pense qu’elle a tout pour réussir. Elles doivent juste devoir faire attention, mais le pays a besoin d’elles et si il y a des choses à leur donner, je le ferai.
Tu es donc au dessus des querelles de « bas niveau »
Oui ! ce que je demande aux porteurs de la culture camerounaise, c’est de respecter le Cameroun, qu’on sache quoi chanter et pourquoi. Nous devons lancer des messages forts au peuple, parler de ce dont les gens ont peur, assagir le peuple.
La tendance actuelle au Cameroun est de faire la chanson crue, en d’autres termes, la musique porno. Est-ce porteur tout cela ?
Ça n’a pas de sens je suis désolé, non ce n’est pas le Cameroun ça.
(je la coupe)On remarque quand même que plus c’est sexuel, mieux ça a du succès.
(un peu irritée) Non ! chaque pays a des petites choses pour amuser les gens, mais il ne faut pas généraliser, il y en a qui le font c’est vrai mais il y en a qui ont des chansons aux messages forts. Non je ne peux pas accepter cela, parce que j’ai des petits gars comme Jacky Kingue, Majoie Ayi, même lady ponce et K Tino ont des chansons qui ne sont pas porno.
Mais celles qui marchent le sont
Oui mais tout le monde n’écoute pas ça. Il ne faut pas analyser comme ça, il ne faut pas généraliser. Le Cameroun ne ressemble pas à cela. La culture camerounaise ce n’est pas ça, on a des Richard Bona, des enfants qui chantent bien, Sergio Polo, Jacky Kingue, Annie Anzouher, tous capables de défendre les couleurs du Cameroun.
chantal, dans les années 80, la musique Camerounaise dominait l’Afrique. Aujourd’hui, nous sommes aux abonnés absents, le coupé décalé explose, le Ndombolo a toujours été là, et nous sombrons. A qui la faute ? aux camerounais ou aux artistes ?
La faute n’est a personne, je pense que ce genre de polémique n’a pas de place, car c’est comme dans le sport, il y a la chance que Dieu donne. Le monde est grand. Le Cameroun a marché, après c’était le Congo. Si aujourd’hui c’est la Côte d’Ivoir ou le Gabon, qu’est ce que ça peut faire ? ça tourne, on a pas le monopole, ça va ça vient, ça reviendra au Cameroun. A l’époque où ça marchait au Cameroun, les ivoiriens nous dansaient et étaient fières, nous étions tous africains. Si le coupé décalé marche, on doit être fière, d’ailleurs, le coupé décalé est un mélange de musiques africaines.
J’ai lu une interview d’Alpha Blondi, dans laquelle, très coléreux, il défendait les lions indomptables, et disait avoir écrit au président de la république pour dénoncer la mauvaise gestion de l’équipe car pour lui, disait-il, les lions indomptables n’appartiennent plus au Cameroun, mais à l’Afrique.
Tu as un discours très panafricaniste
Oui j’ai fait beaucoup d’années ici, mes meilleurs amis sont des Bamilékés, des Béninois, Sénégalais… Je vois la vie autrement. Quand je suis au Benin, je suis chez moi, au Senegal, pareil. Je suis une africaine. A partir d’un moment, il faut grandir. Le tribalisme, le racisme, j’aime pas ! et la musique n’a pas de frontières.
Chantal, tu t’es produit déjà sur plusieurs scènes internationales, mais comment expliques-tu qu’il n’y ait pas de feet back au Cameroun ? les camerounais n’en sont pas informés.
Parce que le Cameroun est limité et je pense qu’on a un problème. Dans notre pays la culture est bannie ;Tous les ministres de la culture se foutent des artistes. Moi je ne vais pas courir pour aller à la TV dire aux gens qui je suis, où j’étais. Je n’ai pas ce temps, je continue à faire mon travail.
Un mot sur la gestion de la CMC ?(ex-Socinada)
Les artistes ont montré leurs limites et ne savent pas gérer. Désolée mais à part l’équipe d’Esso Essomba, qui respectaient au moins les artistes, personne n’a jamais rien fait. Même pas payer 500 fcfa à un artiste. Ces gens nous ont volé l’âme et ne parlons pas des ministres déjà très complexés. C’est ce qui se passe au Cameroun en ce moment avec la nouvelle ministre Ama Tutu que je trouvais jeune, j’avais espoir, mais je suis très déçue. Je me suis retrouvée avec deux invitations pour l’anniversaire d’Anne Marie Nzié sans contrat, sans rien, ni billet d’avion ni rien, signée la ministre de la culture. pendant ce temps, ils ont fait venir des artistes étrangers qu’ils ont payé chère. C’est la honte ! c’est les insultes.
Je me demande si la ministre sait ce qu’elle fait là. Qu’on nous respecte. On ne peut pas nous chiffonner de cette façon. A l’extérieur on est respecté, mais au Cameroun on est maltraité.
tu es en France depuis 9 ans. Il y a 1 an, nous discutions avec Pétit Pays qui disait et je le cite « l’étranger c’est la cachette des imbéciles » tu te sens visée ? (lire petit pays ici)
Je suis désolée, Petit Pays c’est mon ami, c’est mon pot, mais entre lui et moi, très souvent les idées sont opposées. Si je suis en France, c’est parce que j’ai été capable de vivre en France. Lui il a vécu où avant ? Petit pays est français ! il a des enfants en France, il nous trompe, il a eut son nom étant où ? pourquoi il est parti au Cameroun ?
Pour lui, il est plus difficile pour un artiste d’être au Cameroun.
Pardon ? tant mieux pour lui si il a la vie facile au Cameroun. Au contraire, pour vivre en France, il faut avoir les côtes solides et tout le monde le sait. Il ne faut pas juger les gens. Ce qu’il a là-bas, j’ai aussi. Il a construit, j’ai construit, il s’occupe de sa famille, moi pareil. Mais qu’il n’insulte pas les autres. Sa mère vie où ? son petit frère vie où ? il se fait de l’argent où ? ce n’est pas l’argent du Cameroun qui fait vivre Pétit Pays je suis désolé. On sait comment on vit, on est tous artistes. Il faut arrêter un peu. C’est mon complice, mais on dirait qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a des artistes qui ont le succès et qui n’ont plus les pieds sur terre et ne savent même plus ce qu’ils sortent devant les gens.
Lui-même Petit pays sait qu’il a encore du chemin à faire. Tu ne peux pas te battre et dès que tu as le succès tu vas t’assoir au Cameroun. Il faut continuer et atteindre des sommets comme Manu Dibango. Moi je continue ma route derrière mon père Manu et comme Myriam Makéba morte sur scène.
Revenons à ta musique. Dans le dernier album, tu as « osé » chanter en Douala. C’était quoi ? comme on dit, c’était quoi le projet ?
Je réponds toujours que je suis libre de chanter en Douala, ou en Bamiléké…car je suis camerounaise et je suis anti-tribaliste.
Tu n’as pas peur de perdre un peu de ton identité ?
(un peu irritée) quelle identité ? je suis Camerounaise
Identité musicale je précise.
Les étrangers ici ne me connaissent pas comme Béti ou Bamiléké, mais comme camerounaise. Bikutsi, makossa, ça reste camerounais. J’ai fait des années à Douala. Il y a des Bamilékés à Yaoundé depuis des générations, où est le problème ? il faut arrêter. Je crois qu’il faut qu’on rééduque le Cameroun. Je chante en Douala et je suis fière ! ce qui m’intéresse, c’est de faire la fierté de mon pays. Le reste là, nous fait reculer.
Chantal, il y a quelques années, au CORA, le Cameroun s’est fait représenter par Ange Bagna. Choix contesté par plusieurs artistes Camerounais.En fais-tu partie ?
J’ai fait les Cora en 99 ,à une époque où ça avait encore de la valeur. M. Jackson, Lauryle Hill étaient présents. Aujourd’hui, franchement je ne suis même plus, ce ne sont plus les vrais Cora ; je n’étais même pas au courant de cela. Apparemment, aujourd’hui, les artistes soudoient pour y aller.
Revenons à ta personne. Comment fais-tu pour rester toujours aussi belle après tant d’années ?
(petit sourire très gené) Je ne sais pas c’est la nature, c’est Dieu qui fait ses choses. C’est vrai, il y a l’hygiène de vie, il y a des choses que je ne fais pas, et je respecte beaucoup mon corps, je sais où je met les pieds et ce que je veux.
Des femmes sont curieuses de savoir comment tu fais pour avoir le teint aussi net, proche de la perfection ?
(rire) Je ne sais pas mais quand on est un exemple… je représente les femmes et je chante pour la femme africaine et sa beauté. Donc je me soigne. C’est normal ! mais c’est Dieu qui donne. Ou on l’a ou on ne l’a pas. Il faut connaitre le mythe. Quand je passe ça laisse des odeurs, et même les femmes me respectent. Puis… il faut faire rêver les enfants, les biberons comme vous ! on prend de l’âge, mais on est là ! parce que le terrain est serré avec nos propres enfants.
Très bien mais Chantal Ayissi est-elle libre ?
(sourire) ces choses là, pour qu’on te respect, il faut avoir une personne qui te protège. Je n’aime pas aller de gauche à droite. Depuis 9 ans, je suis là, moi j’ai choisi mon petit truc et je suis là dedans. Il n’y a pas de problèmes et je me respect. Ceci n’empêche pas de rêver. certains peuvent rêver, tu peux même rincer les yeux.
Chantal, quelle question aimerais-tu que je te pose ?
(sans hésiter) Que font les jeunes camerounais en Europe.
Chantal Ayissi, que font les jeunes camerounais en Europe ?
C’est au pays qu’il faut dire ce qu’ils font en Europe. Les jeunes sont perdus en Europe !
Il faut voir comment les jeunes camerounais sont dehors entrain de vendre leurs âmes, comment ils se cherchent, et je me demande si les autorités sont conscientes. Tous ces diplômés qui vivotent ici, sombrent dans la boisson. Il viennent en aventure pour chercher quelques chose pour la famille, ça fait mal.
Les gars sont ici 10, 20 dans des petites chambres. A la gare de l’Est ils sont entassés là, ils se cherchent, ça donne les larmes aux yeux. Si chez nous on a pas la place, ici non plus on en a pas, comment on va faire ? qu’on nous donne au moins chez nous les places qu’on mérite. Ici les papiers il n’y a pas, c’est vivre dans la peur. Et même ceux qui ont les papiers, n’ont pas de place. Le racisme est fort.
Qu’on laisse les jeunes rentrer et qu’on leur donne la place. Nos frères triment ici dans le froid. Il y en a qui me disent quand ils me voient « grande sœur, quand je te vois, je sais que je vais manger. » tu es obligé de vider tes poches, alors que c’est difficile, même pour toi. Je suis ici en France, mais comment faire pour passer à la télé ? Je ne suis passé que deux fois sur M6 ; alors que chez nous je passe quand je veux. Il y a des jeunes qui meurent en route pour venir ici, vivre dans quelles conditions ? Des filles vendent leurs âmes pour pouvoir vivre, avoir les papiers, se font maltraiter. La meilleur vie c’est en Afrique.
Si on veut construire l’avenir du Cameroun , qu’on arrête de mentir. Les gens volent de l’argent et viennent déposer ici, ça sert à quoi ? Moi-même je rentrerai, mais je t’assure une fois de plus que je vomis tout ce qui se passe au ministère de la culture au Cameroun.
Un mot sur ton dernier Album « Miroirs »
C’est un album qui fait son bout de chemin, on fait de la promo, je sais qu’il va marcher, car il y a du travail derrière, et je m’inspire des grandes femmes comme Makéba, whitney houston, Annie anzouher, bref des vrais talents. Je souhaite faire rêver et je continue le travail.
Nous te remercions pour l’entretien.
J’ai été très ravi, on a besoin des gens comme vous, car il y a de plus en plus de faux journalistes, qui n’emmenent que du négatif, disent des bassesses et ramènent des histoires à dormir debout, on se demande souvent où on va. Profond respect.