Lettre ouverte à la RTBF suite à la remise en question du Soulier d’ébène

« Doit-on continuer à décerner un prix à un joueur de football sur la base de son origine? Le soulier d’ébène est-il discriminatoire? » S’interroge François Heureux.

C’est la consternation et l’indignation au sein de la communauté africaine de Belgique depuis la chronique d’Eby Brouzakis et Patrick Charlier sur la chaîne publique « la première » cette semaine au sujet du Soulier d’Ebène. 

« Doit-on continuer à décerner un prix à un joueur de football sur la base de son origine? Le soulier d’ébène est-il discriminatoire? » S’interroge François Heureux avant de déclancher les hostilités. Eby Brouzakis viendra ensuite feindre une analyse objective tout en précisant qu’au sein de la rédaction celà fesait l’objet de débat. La conclusion timide, tiède et à charge de personne n’arrangera pas l’esprit de la chronique. Le décord est planté, le missile est lâché et toute une communauté visée a été touchée. Comment garder le silence quand Brouzakis rajoute: « On s’est souvent demandé quel était le but d’une distinction à priori clivante? dans une société footbalistique où on se veut incluant, on nous propose un trophée qui exclu une partie du monde footbalistique sur base de l’origine ou de la couleur de la peau… » Le collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations, par la plume de son cordinateur Calvin Soiresse Njall répond à la RTBF:

Messieurs,

Ce mercredi 10 mai 2017 est sans doute à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la lutte contre les discriminations en Belgique. En effet, le choix éditorial de la RTBF et de sa rédaction sportive d’illustrer la commémoration des dix ans des lois anti-discriminations par la remise en cause de la légitimité des prix distinctifs du Soulier d’Ebène et du Lion d’Or, marquera à tout jamais cette lutte. La conscience citoyenne au cœur de notre Mouvement nous impose le devoir de vous féliciter mais aussi de vous donner quelques petites astuces pour le futur.

Vous exercez un métier passionnant, mais aussi exigeant en termes d’impact sur la société, surtout en ce qui concerne l’image qu’il véhicule. Ne dit-on pas toujours que les sportifs doivent donner l’exemple ? Les journalistes sportifs eux, le font déjà au quotidien et nous souhaitons vous aider à continuer dans le bon sens.

La première astuce pour continuer à marquer l’histoire de la lutte contre les discriminations – et notamment ces discriminations qui touchent les Noirs -, consiste à donner des informations exactes pour appuyer votre démonstration. Il est vrai que les Noirs ne sont pas très discriminés, mais un petit effort dans ce domaine pourrait vous faire grimper un palier dans cette lutte. Votre journaliste, Eby Brouzakis qui représentait votre rédaction, a affirmé qu´accorder un prix distinctif à un joueur en raison de sa provenance géographique africaine ou de son origine africaine est une spécificité belge. Nous craignons de vous décevoir dans votre enthousiasme de voir dans les Noirs ou les Maghrébins de Belgique un génie créateur unique en ce monde. Que dire du prix Marc-Vivien Foe en France ? Ou du prix BBC du meilleur joueur africain en Angleterre ? D’ailleurs, la distinction du Soulier d’Ebène est en premier lieu basée sur l’origine géographique, que l’on soit « Beur »[1], « Blanc » ou « Noir » d’Afrique. Des joueurs comme Mbark Boussoufa l’ont reçu. Un joueur blanc d’Afrique du Sud comme Mark Fish à son époque l’aurait sans doute largement mérité.

Alors votre cadeau le plus important fait à cette lutte est celui qui concerne la légitimité des joueurs aux racines africaines comme Youri Tielemans à obtenir un tel prix aux dépens d’un Belge aux racines chinoises, romanes, gauloise ou flamande. Nous croyons que vous êtes sur la bonne voie et vous conseillons ici une deuxième astuce : ouvrir l’année prochaine le débat sur la valorisation par l’Etat belge et son service public de ses minorités culturelles – notamment africaine – à travers leur visibilité dans tous les domaines. Un débat sur la discrimination positive serait par exemple un formidable outil. Ah tenez, excellente idée que d’inviter Patrick Charlier le Directeur d’UNIA. Mais vous auriez pu lui demander pourquoi l’Assemblée Générale des Nations Unies a décrété l’année 2011, année des personnes d’ascendance africaine pour inciter les États membres à promouvoir de manière positive la visibilité des Noirs, surtout en Europe, et la lutte contre le racisme et les discriminations qui les touchent. Vous auriez pu aussi lui demander ce que l’Etat belge, membre de cette assemblée a fait cette année-là en dehors d’une enquête du Centre pour l’Egalité des Chances d’alors qui a révélé que les « Belgo-belges » ont des Noires l’image de personnes gaies, paresseuses, portées plus sur le plaisir que sur le travail et qui sont attachées à leur apparence[2]. L’ONU était tellement contente du travail des États européens qu’elle a déclaré la période 2015 à 2025, décennie des personnes d’ascendance africaine. Et il faut dire que pour le moment, les résultats de ce début de décennie sont de très haute volée dans notre pays.

Enfin une dernière astuce capitale, à l’heure d’un documentaire nominé comme « I am not your Negro » de Raoul Peck qui fait un carton, on a vite fait de se faire une mauvaise réputation en jugeant des Noirs qui prennent des initiatives pour eux-mêmes sans les inviter à donner leur point de vue.

Voilà pour ces quelques astuces que vous pourriez considérer ou pas. Et veuillez excuser ce culot propre aux citoyens gratte-poil que nous sommes.

Pour le CMCLD (Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations), Mouvement citoyen gratte-poil.

KALVIN SOIRESSE NJALL

Coordinateur

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