40 ans avant la Shoah, c’est en Afrique que s’est déroulé le premier génocide du XXème siècle

L’Allemagne de Guillaume II a perpétré des crimes, qualifiés de «génocide» par les autorités allemandes actuelles, entre 1904 et 1908.

À New-York se déroule le procès d’un drame méconnu, qui oppose les communautés Hereros et Namas de Namibie à l’Allemagne. La seconde audience qui était prévue le 21 juillet 2017 a été repoussée pour ce mois d’octobre.
L’Allemagne de Guillaume II a perpétré des crimes, qualifiées de «génocide» par les autorités allemandes actuelles, entre 1904 et 1908. Dans ce qu’était l’«Afrique du Sud-Est allemande»(1884-1915), 100.000 autochtones, dont les trois-quarts étaient des Hereros et les autres des Namas, issus des deux groupes minoritaires de Namibie, ont été massacrés. Entre émoi collectif et manipulations politiciennes, cette affaire met en lumière les discriminations que subissent les minorités en Afrique et l’interprétation ambiguë de l’aide au développement dans les relations Nord-Sud.

Une amnésie singulière a frappé la mémoire coloniale des deux pays, au sujet de ce drame à telle enseigne que Shark Island, l’un des lieux où s’est joué cet épisode meurtrier, décrit comme «un camp de concentration» lors des faits, a été aménagé en camping. Du côté allemand, il a fallu de longues années pour qu’une prise de conscience fasse délier les langues des autorités, qui emploient le terme de «génocide» sans que cela ne signifie une reconnaissance formelle.

28 milliards pour dédommagement

Dans cet imbroglio méprisable, un troisième camp, le gouvernement namibien, joue un rôle essentiel. En effet, c’est en 2014 que Berlin et Windhoek ont débuté des négociations qui ont pour finalité une déclaration commune qui exprimerait des excuses officielles de l’Allemagne. Les représentants des communautés des victimes ont été sciemment exclus de ces pourparlers. La raison est que, selon une information qui a filtré des négociations en mars, les autorités namibiennes s’apprêtaient à demander à l’Allemagne un montant de 28 milliards d’euros comme dédommagement. Le pays étant dirigé par l’ethnie majoritaire – les Ovambos – qui a toujours montré très peu d’intérêt face à ce crime colonial et ce montant record, s’il était redistribué aux communautés victimes, risquerait de modifier «l’équilibre» des pouvoirs locaux, les deux ethnies minoritaires vivant dans une totale pauvreté. Voilà pourquoi le gouvernement joue son va-tout pour en être l’unique bénéficiaire.

L’allemagne évoque l’aide au développement

Pour Berlin, il est hors de question d’envisager un quelconque dédommagement financier aux communautés Hereros et Namas, telles qu’elles le réclament dans la plainte déposée à New-York, ou au gouvernement namibien. L’Allemagne, étant le principal partenaire pourvoyeur de fonds pour la Namibie, estime que l’aide au développement «très généreuse» est «l’expression de (notre) responsabilité particulière». Une position qui irrite l’ex-ministre et député herero Kazenambo Kazenambo qui rappelle la confiscation des terres dont ont été victimes les Hereros pendant l’ère coloniale, ce qui a occasionné le sous-développement et la promiscuité. Au-delà de l’aspect financier, il exige la restitution de leurs terres ancestrales, perdues lors du génocide. Pour Estelle Muinjangue, directrice de la fondation pour le génocide herero, l’exclusion des principales victimes des pourparlers entre les deux états a pour but de les empêcher d’œuvrer pour une issue favorable à leurs causes. Un avis partagé par des chefs traditionnels hereros et namas qui veulent siéger à la table des négociations, entre Berlin et Windhoek comme ce fût le cas entre l’Allemagne, Israël et les communautés juives après la Shoah. Un scénario que rejettent énergiquement les deux capitales.

Une plainte déposée à New York

C’est pour sortir de cette impasse que les représentants des deux communautés ont opté pour une plainte déposée à New-York, indépendamment de leur gouvernement, l’aspect politique de la question ayant tendance à prendre le dessus sur la morale et le respect de la mémoire. Cette initiative qui a déplu à Windhoek, qui se positionne comme la seule voix légale qui puisse défendre les intérêts de tous les namibiens, n’est pas la première car en 2001, une plainte similaire déposée toujours aux États-Unis, selon une procédure basée sur la loi «Alien Tort Statute», avait été rejetée. Le gouvernement namibien espère une fin similaire à cette nouvelle plainte, les négociations entre les deux capitales pouvant lui assurer à défaut de gains conséquents, une position confortable dans ses relations avec son plus grand bayeur de fons.
Nonobstant toutes ces difficultés, les représentants des deux communautés Hereros et Namas, victimes du premier génocide du XXème siècle, demeurent déterminés à l’instar de l’ex-ministre herero Kazenambo, cité plus haut, qui déclare : «Pour nous ce n’est pas une question d’argent, il s’agit de moralité et de dignité et nous ne cèderons jamais là-dessus».

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1 Commentaire
  • rvg
    novembre 22, 2017

    L’histoire est écriture avant d’être écriture. ET affaire d’historiens. Ils nous disent ceci :
    Le premier génocide du XXè siècle est la guerre des Boers (1899-1902), en Afrique du Sud, en principauté d’Orange et au Transvaal précisement. C’est certes peu éloigné du Sud-Ouest Africain (Namibie) mais antérieur à 1904. Il concerne les pratiques des britanniques à l’égard des afrikaaners (descendant de calvinistes hollandais et français) et des africains noirs, britanniques qui développèrent des camps de concentration entrainant près de 50000 morts en 30 mois (25 à 30000 morts afrikaaners et 20 000 africains).
    Peu avant l’usage de camps de concentration comme éléments de stratégie militaire avait été inventé à Cuba lors de la Guerre de l’Indépendance (1895-1898). Mc’est déjà le XIXè siecle…
    à lire :
    Becker Annette, « La genèse des camps de concentration : Cuba, la guerre des Boers, la grande guerre de 1896 aux années vingt », Revue d’Histoire de la Shoah, 2008/2 (N° 189), p. 101-129. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-101.htm