Rencontre avec Ken Ndiaye ; une référence afro-culturelle en Belgique
Artiste, socio-anthropologue, entrepreneur humaniste et fondateur de l’horloge du Sud.
Ken Ndiaye, artiste polyvalent, socio-anthropologue et entrepreneur infatigable, nous reçoit dans sa brasserie culturelle très « world », au croisement chaussée de Wavre-Rue du Trône : l’Horloge du Sud.
Ken est né au Sénégal. Danseur sorti de l’école MUDRA, fondée par Maurice Béjart à Dakar, il vient poursuivre ses études en théâtre et animation culturelle à l’INSAS en 1982. Il intègre ensuite la compagnie anversoise de Toone Brulin, un proche de Hugo Claus. Ken poursuit parallèlement une carrière de chanteur et percussionniste, introduisant notamment le Djembé en Belgique avec Mamady Keita. C’est alors que, en cohérence avec son parcours, il se tourne vers la socio-anthropologie.
« La mise en scène induit curiosité et recul. Cela m’a conduit naturellement à des études en sciences humaines, pour affiner ce regard éloigné. Je n’ai jamais vraiment pu choisir entre sociologie et anthropologie, un peu mal à l’aise avec le côté parfois un peu passé, non contemporain, de l’anthropologie de l’époque».
Ken montre ensuite un grand intérêt pour l’anthropologie médicale et co-fonde le GRAM (Groupe de Recherche en Anthropologie Médicale) avec Pierre Demaret, futur recteur de l’ULB.
La naissance de l’horloge du Sud
L’entrepreneuriat vient tout aussi logiquement. A l’époque, le quartier européen est en pleine construction, mais beaucoup est démoli, les gens quittent Bruxelles, des chancres s’installent, le tissu urbain et social se délite. Lors de son expérience artistique dans les métropoles internationales, Ken a toujours trouvé des lieux de rencontres culturelles transversaux, qui semblent disparaître à Bruxelles. Il décide alors d’apporter sa pierre au « vivre ensemble » en créant un tel lieu. Il reprend donc avec un collègue l’ « Horloge », immédiatement rebaptisée « du Sud ». Le département culinaire assure un ancrage africain varié, afin d’amener cette richesse aux palais bruxellois curieux. Côté culturel, ce sont concerts, salons littéraires, projections de films, conférences, réunions d’ONG ou associations de quartier, etc. L’ouverture est totale, toutes communautés « welcome ».
La programmation musicale se veut en « discrimination positive », non seulement pour promouvoir des artistes (souvent d’origine africaine) que les médias traditionnels ignorent, mais surtout pour permettre au public belge de s’enrichir de ces saveurs qu’il ne rencontre que peu par ailleurs.
Consultant pour la rénovation du Musée d’Afrique de Tervueren.
La socio-anthropologie, quant à elle, a mené Ken à des collaborations multiples avec le musée de Tervueren, notamment comme consultant sur sa récente rénovation.
« Le musée reste une institution construite sur un passé colonial, notamment de par l’acquisition d’une bonne partie de ses collections (comme l’a montré l’exposition « Exit Congo Museum » montée par l’anthropologue Boris Wastiau en 2001). Le discours autour des objets ou œuvres, leur présentation, restent le point crucial : autrefois dégradants pour les africains, ils peuvent aujourd’hui enfin être recontextualisés et réévalués à leur juste valeur, ce pour quoi le public est devenu réceptif, pour peu qu’on lui tienne un discours suffisamment didactique. Il faut accepter ce patrimoine avec l’œil critique mais constructif, et sans tabou par rapport à son acquisition et son voyage. J’ai fait partie de ce groupe de réflexion. Le musée de Tervueren va rouvrir en 2018, fort de ces évolutions ».
Au sujet de l’entrepreneuriat afro-belge
Ce discours percole dans les diasporas, poussant à l’entrepreneuriat. Or, si on n’a pas l’envie, la vocation, les compétences, ça reste un pis-aller. Les jeunes des associations, pleins de projets, s’y sentent de plus en plus obligés. Ils finissent par vouloir tous faire la même chose. Certains mélangent entrepreneuriat et militantisme : « je veux affirmer mon africanité, donc je vais faire un restaurant africain » (ou du tissu traditionnel)… C’est une mauvaise motivation ; ce sont des activités par défaut. Il y a beaucoup de fausses formations d’entrepreneurs. Or, au moins la moitié des entreprises, si pas deux sur trois, échouent dans les 5 ans. Même la coopération belge se met à financer l’entrepreneuriat privé en Afrique, sous prétexte que les états ont failli. Il faut plutôt renforcer les états et le giron qu’ils offrent, ici et là-bas, avant de partir sur l’entrepreneuriat. Sinon, ce dernier devient un débarras.
Ken, lui, se déclare en tout cas toujours motivé à travailler 20h par jour à la culture, à l’ouverture et à l’accueil de tous les publics, avec le souci permanent de transversalité qui l’anime. Le chemin qui l’a mené de la vie d’artiste à son entreprise socio-culturelle florissante (aux prix très démocratiques – NDLR) en passant par l’anthropologie fut, quant à lui, tout sauf un pis-aller : un élan, une passion, et le lien d’un parcours extrêmement cohérent et généreux.
Entretien mené par Migou Rwubu