FESPACO CLAP 50 : COUP D’ŒIL DANS LE RETRO…

Le 50ème anniversaire de la plus grande manifestation cinématographique en Afrique s’annonçait prometteur et haute en couleurs.

Mais cette 26ème édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou a fait couler beaucoup d’encre et fait grincer bien des dents. Retour sur un cap historique.

Né de l’initiative d’une poignée de cinéphiles passionnés à la fin des années 1960 dont la vaillante pionnière Alimata Salambéré très active dans cette célébration du cinquantenaire, le FESPACO est progressivement devenu une « affaire d’Etat » géré par armée de fonctionnaires et un comité d’organisation pléthorique. Malgré cet impressionnant dispositif, depuis de nombreuses années, le festival est entaché par des difficultés d’organisation rédhibitoires mais personne n’a jamais voulu rater ce rendez-vous incontournable et unique du 7ème art sur le Continent. Tous les deux ans, pendant une semaine, Ouaga ne dort pas et vibre au rythme des cinémas d’Afrique. Jusqu’au début des années 2000, réalisateurs, comédiens, techniciens avaient coutume, de se retrouver autour de la piscine de l’Hôtel Indépendance où l’on pouvait croiser les aînés Ousmane Sembene, Tahar Cheria, Djibril Diop Mambety, Ferid Boughedir, Souleymane Cissé, Lionel Ngakané, Timité Bassori, Sidiki Bakaka ou Idrissa Ouédraogo et tant d’autres en train d’échanger passionnément et de refaire le monde jusqu’à l’aube. A l’image de Ouagadougou qui s’est étendue, le festival s’est peu à peu fragmenté à travers la capitale sahélienne, perdant un peu de sa saveur avec l’abandon progressif de ce mythique « QG de l’Indé», finalement saccagé lors de l’insurrection populaire de 2014.

Véritable fête populaire, le FESPACO commence toujours par une grandiose cérémonie d’ouverture dans un stade rempli où les concerts de stars de premier plan rivalisent avec les parades équestres et autres feux d’artifice. Le 23 février dernier, malgré les défis posés par la situation sécuritaire dans la région, le Burkina a tenu marquer ses hôtes dès leur arrivée par un spectacle total…mais aussi pas mal de discours aux relents politiques.

Si le Burkina est le pays du cinéma par excellence, il n’a pas échappé à la disparition dramatique des salles dont deux joyaux ont néanmoins survécu : le Neerwaya et le légendaire Ciné Burkina au cœur de la ville. Avec le déploiement de nouveaux lieux de projection et l’arrivée des deux nouvelles salles Canal Olympia aux abords de Ouaga, le FESPACO a offert aux festivaliers plus de 140 projections dans 9 salles sans compter les projections décentralisées du Cinéma Numérique Ambulant qui est très tôt venu pallier la carence de lieux de diffusion tout en rapprochant utilement le cinéma de son public. Un CNA Burkina apparemment bien financé et bien géré puisqu’il a pu organiser pas moins de 432 projections à travers le Faso durant l’année 2018. Une prouesse dans un désert troublé…

Une rétrospective pour la mémoire…et les cinéastes disparus à l’honneur

L’un des faits majeurs de ce 50ème anniversaire est la projection spéciale d’une vingtaine de films devenus aujourd’hui des classiques des cinémas d’Afrique récemment restaurés. Au premier soir du FESPACO 2019, les cinéphiles ont vu ou revu « Muna Moto », en présence de son réalisateur, le doyen Camerounais Dikongue Pipa, lauréat de l’Etalon d’or de Yennenga en 1976 et de « Soleil Ô », film culte du Mauritanien Med Hondo qui s’est éteint le samedi 2 mars dernier, le jour même de la clôture du FESPACO.

Les deux géants de la cinématographie africaine que sont Idrissa Ouédraogo, décédé l’an dernier, et Djibril Diop Mambéty (1945-1998) ont été également mis à l’honneur. Le premier lors d’un colloque à l’Université de Ouagadougou réunissant de nombreux spécialistes et admirateurs. Le second lors d’une journée qui lui était consacré avec des projections commentées de ses films dont le chef d’œuvre « Hyènes » qui a fait sensation à Cannes en 1992 et qui a été récemment restauré pour le plus grand bonheur des cinéphiles.

Alain Gomis & Souleyman Cissé

Les Camer, des valeurs sûres et une relève qui se fait attendre…

Depuis Dikongue Pipa et quelques autres, le Cameroun est présent depuis les débuts du « concert panafricain du cinéma ». Jean-Pierre « Obama » Bekolo est venu rafraîchir le paysage avec son mythique « Quartier Mozart » en 1995 et a secoué le landerneau avec « Les Saignantes » dix ans plus tard, remportant l’Etalon d’argent au FESPACO 2007. Cette année avec « Les Armes Miraculeuses », il n’a pas complétement convaincu avec un scénario et une direction d’acteurs pas toujours très crédibles. Qu’à cela ne tienne, avec Bekolo c’est du vrai cinéma ! Cela fait plus de 30 ans que l’intelligence pétillante de Jean Marie Teno illumine les écrans à travers plus de 15 films produits. Après plusieurs courts métrages de fiction et documentaires, il entre par la grande porte en 1992 avec « Afrique Je te Plumerai », un film dénonçant les effets du colonialisme et du néocolonialisme au Cameroun. Son dernier film « le Futur dans le Rétro » devrait faire parler de lui dans les mois à venir. Une mention spéciale (délivrée a posteriori suite à un autre avatar indigne d’un festival international) est fort justement revenue au documentariste camerounais François Wouakouache pour son œuvre de mémoire intitulée « Ntaraba », un huis clos dans un village rwandais sur les « justes » du génocide de 1994 dans une écriture documentaire épurée et aboutie.  

Kabongo & Bekolo

La relève sénégalaise s’annonce féminine !

Khadidiatou Sow

Si quelques esprits chagrins du côté de Dakar se sont plaints de l’absence de long métrage sénégalais en compétition (comme si c’était une obligation…), côté courts métrages de fiction, c’est carton plein pour la gent féminine sénégalaise. L’Etalon de bronze revient à « Un Air de Kora », un film bien construit par Angèle Diabang et l’Etalon d’argent à Khadidiatou Sow pour l’excellent « Une Place dans l’Avion ». La Tunisie raflant l’Etalon d’or du court avec « Black Mamba » de Amel Guellaty.

En marge des projections, l’inclassable (tant elle multiplie les talents !) artiste sénégalaise Fatou Kandé Senghor a réuni un huis clos exclusivement féminin intitulé « We are Yennenga » pour faire le point sur la situation des femmes dans les métiers du cinéma et de l’audiovisuel. Au même moment, un mouvement « de type #metoo » s’est créé pour dénoncer la maltraitance des femmes dans le monde du cinéma, après la violente agression, il y a quelques mois, d’un réalisateur burkinabé sur une de ses comédiennes. Et d’autres révélations impliquant notamment des hommes cinéastes présents à Ouagadougou sont remontées à la surface…

Le Burkina toujours omniprésent et le Rwanda qui se réveille…

Katy Ndiaye et Smockey

Championne toutes catégories de la communication promotionnelle, Appoline Traoré présentait « Desrances », deux ans seulement après son premier long métrage « Frontières ». Et, par un heureux hasard, elle a obtenu deux prix : celui de la Mairie de…Ouagadougou et celui de l’Assemblée Nationale. Un soutien local affirmé ! Après plus d’une décennie d’absence, Issiaka Konaté remonte sur scène avec « Hakilitan », un film esthétique mais plutôt « ésotérique » sur la mémoire du et au cinéma. La projection de « Duga, Les Charognards » du jeune duo Hervé Lengani/Abdoulaye Dao a rempli la salle du Ciné Burkina avant l’heure et remporté les suffrages du public… et le prix de l’UEMOA. Un autre duo de jeunes réalisateurs, venus de Côte d’Ivoire en passant par l’ESAV de Marrakech, a attiré l’attention des cinéphiles. Boris Oue et Marcel Sangne présentait « Résolution » sur le thème de la violence conjugale. Le film a remporté les prix spéciaux de la CEDEAO et du Conseil de l’Entente.

Un palmarès boosté par le puissant « Fatwa » en Etalon d’argent alors que L’Etalon d’or 2019 a été décerné à « Mercy of the Jungle » du rwandais Joel Karekezi avec l’époustouflant Marc Zinga plus vrai que nature dans la peau d’un soldat-rebelle à la dérive. Ce film est le premier long métrage produit par la société belge Neon Rouge Production qui s’active dans le court métrage et le documentaire en Afrique depuis plus de dix ans. Le prix de la meilleure interprétation féminine est décerné à Samantha Mugotsia pour son interprétation dans le film kenyan « Rafiki », une œuvre toute en finesse sur le délicat sujet de l’homosexualité féminine.

Au-delà de la prestigieuse compétition des longs métrages de fiction, le documentaire est désormais reconnu comme un genre à part entière dans une catégorie distinguant les courts et les longs et comportant trois distinctions, exactement comme chez « les grands ». Une production riche où l’on peut subjectivement épingler trois films de qualité : « Meu Amigo Fela » du Brésilien Joel Zito Araujo, «Au Temps où les Arabes Dansaient » de Jawad Rhalib et « On a le Temps pour Nous » de la sénégalo-bruxelloise Katy Léna Ndiaye, un portrait intimiste du rappeur Smockey, icône du mouvement Balai Citoyen qui a mené l’insurrection populaire burkinabé d’octobre 2014.

Réinstallé au cœur de la ville, Place de la Nation, le MICA, le marché du film a retrouvé son rôle central de carrefour et fait la part belle aux séries télés qui prennent de plus en plus d’importance sur un marché audiovisuel africain en plein essor malgré des difficultés de financement récurrentes. La catégorie des films d’écoles de cinéma constitue aussi un laboratoire important pour prendre le pouls des tendances et jauger le propos cinématographique et la maîtrise technique des réalisateurs et des auteurs de demain.

Foire aux bailleurs et cinéastes en rade

Une cérémonie de clôture désastreuse, animée par un amateur à la culture cinématographique fort limitée, truffée de nombreuses animations musicales et marquée par d’inacceptables cafouillages a révélé au grand jour que la politique a malheureusement pris le pas sur l’art. Devant trois Chefs d’Etat réunis pour l’occasion (Roch Kaboré du Burkina, Paul Kagamé du Rwanda et IB Keïta du Mali), aucun membre des différents jurys n’a pu s’exprimer pour éclairer le public sur leurs choix et aucun des lauréats n’a pu dire un mot sur la consécration de ce qui représente souvent des années de travail. 

S’il veut survivre encore dans les décennies à venir, ce festival quinquagénaire doit opérer sa mue et se réinventer en redonnant impérativement la priorité à la création cinématographique et à ses artisans. Ils sont nombreux à avoir connu d’impardonnables déboires pour rejoindre la capitale burkinabé, recevant la confirmation de billets d’avion non confirmés ou non payés, devant reporter leur voyage ou n’étant tout simplement pas arrivés à Ouaga pour cette 26ème édition donnant parfois aux réalisateurs l’amère impression de n’être que des figurants dans un film au scénario hybride, entre politique et poudre aux yeux. Un contraste saisissant avec le sort réservé aux « partenaires » et autres bailleurs de fonds qui sont accueillis en grande pompe, organisant à qui mieux mieux réceptions, cocktails et événements mondains de « visibilité » de leur coopération. Ce chaos organisationnel situant les cinéastes à la périphérie de l’événement est d’autant plus dommage que l’engagement du Burkina Faso pour le cinéma demeure intact et sincère.

Au-delà de ces péripéties organiques événementielles, les cinémas d’Afrique sont plus que jamais un vivier de créativité pour une nouvelle génération dont le propos s’aiguise à l’aune du digital. Même si la qualité de la production et de l’écriture demeure inégale pour accéder massivement au marché international, la cinématographie africaine est sortie de la dualité tradition/modernité de ses débuts et aborde aujourd’hui des thématiques bien plus éclectiques, plus variées qui reflètent les réalités contemporaines et certains fléaux d’un Continent en marche…

50 ans en chiffres :

  • 2140 films projetés
  • 160 prix décernés
  • 25 éditions tenues

Quelques dates clés :

-1969 : 1ere édition. La première personne à avoir présidé le festival est une femme : Mme Alimata SALEMBRE.

-1972 : Institutionnalisation du FESPACO avec un grand prix dénommé Étalon de Yennenga, Symbole de l’identité culturelle africaine.

-1987 : Création de la section Diaspora dans la sélection officielle

-1995 : Inauguration officielle de la Cinémathèque africaine de Ouagadougou

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