« Racisme anti-Noirs, entre méconnaissance et mépris », décodage de Mireille Tsheusi Robert
Des Clés de compréhension concrètes de l’Afrophobie livrées dans le nouveau livre de Mireille Tsheusi Robert avec le soutien de Bepax.
Lorsque l’on parle du racisme, souvent, le premier réflexe est d’aborder le racisme interindividuel, forme la plus visible du racisme au quotidien. Or, il existe différentes formes de racisme, tel que le racisme systémique, structurel et institutionnalisé. Dans leur livre, « Racisme anti-Noirs, entre méconnaissance et mépris », Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau illustrent la manière dont les afro-descendants sont discriminés au sein même du monde de l’antiracisme. Car le racisme envers les personnes d’origine africaine est complexe et se manifeste de différentes façons.
En général, ce racisme « anti-Noir » est appelé négrophobie ou afro-phobie. Nous nous sommes interrogés sur ces termes, sur ce qu’ils représentent et sur leur pertinence pour décrire le racisme à l’égard des afro-descendants. Lors de leur recherche, les auteurs ont interviewé 85 militants antiracistes. Pour la plupart des personnes rencontrées, de manière assez homogène, la majorité des répondants euro-descendants et afro-descendants définissent l’afro-phobie comme étant « la peur des Noirs ». Toute fois, dans le même temps, leur recherche démontre très clairement que le racisme envers les afro-descendants est loin de se résumer à de la peur ou à de la phobie. En réalité, ce que l’on désigne généralement par le vocable « afro-phobie », c’est la combinaison de multiples formes de racisme.
Dans son livre, Mireille-Tsheusi Robert crée et propose l’utilisation de quatre nouveaux termes : l’afrisme, la négréquence, la triple-lutte antiraciste et l’afrilience. En adoptant ces nouvelles terminologies, l’auteure entend élargir la « définition » du racisme envers les afro-descendants, avec une prise en compte d’éléments spécifiques.
AFRISME : un racisme spécifique envers les Africains et les afro-descendants
« Afrisme »: Il désigne le racisme envers les Africains ou les personnes afro-descendantes. Ce terme doit notamment permettre de prendre en compte certains éléments :
• L’histoire de la domination occidentale en Afrique (et les stéréotypes qui ont été créés lors de cette domination) nous montre que le racisme envers les afro-descendants se caractérise davantage par le mépris, la condescendance, la sous-estimation, l’absence de confiance et le dégoût que par la peur ou la phobie (même si la peur fait aussi partie de ce florilège). D’où l’importance de préférer un autre terme à celui d’afro-phobie.
• Ce nouveau terme peut aussi bien désigner le racisme biologique que le néo-racisme culturaliste, c’est-à-dire, le racisme culturel (« C’est leur culture différente qui nous dérange, pas le fait qu’ils soient Noirs »)
Négréquence : les conséquences du racisme sur les Africains et les afro-descendants
Le mot « Négréquence » désigne l’ensemble des conséquences du racisme sur les personnes afro-descendantes. Le terme « nègre » est choisi à dessein, en effet, cette appellation a longtemps servi (et sert encore) à dénigrer les Africains. Ainsi, les conséquences du racisme peuvent prendre diverses formes sociales, économiques, psychologiques et physiques :
· Négréquence sociale : honte, isolement, évitement, violence…
· Négréquence économique : pauvreté, inactivité professionnelle, déqualification…
· Négréquence psychologique : automutilation, penser que les racistes ont raison, nier le racisme subi, …
· Négréquence clinique ou physique : maladies cardio-vasculaires, psychoses, le fait de s’éclaircir la peau avec des produits cancérigènes, …
« Triple-lutte antiraciste » pour désigner les différentes sources du racisme
La Triple-lutte antiraciste désigne le fait de devoir se défendre face à différentes sources de racisme : la société en général (les institutions, l’Etat), les personnes racistes en particulier (injures, remarques, blagues, violences, …) et, enfin, les personnes qui ne sont pas censées être racistes (professionnels de l’antiracisme ou la belle-famille par exemple). Chaque personnes d’origine africaine est en proie, qu’il le reconnaisse ou non, à au moins l’une de ces sources de racisme.
Triple lutte anti-raciste, les trois sources principales du racisme | |
Source de type 1 : les inconnus | Les individus (inconnus, guichetiers, connaissances…) |
Source de type 2 : les institutions | Le système structurel ( politique, économique, institutionnel) |
Source de type 3 : les proches |
Le ‘racisme des pairs’ (celui des équipiers sportifs, des collègues de bureau…) |
Le ‘racisme paradoxal’ (celui des professionnels et militants antiracistes) | |
Le ‘racisme intime’ (dans un couple mixte, parents adoptifs, belle famille, amitié…) |
La triple lutte antiraciste est une notion vaste mais dans leur livre, les deux auteurs traitent d’un aspect en particulier : le racisme paradoxal. Cette catégorie tend à mettre en lumière le fait que beaucoup de militants antiracistes afro-descendants doivent subir – et donc se défendre – contre le racisme de leurs pairs professionnels ou militants euro-descendants.
Le paradoxe naît du fait que les pairs, s’affichant en tant qu’antiracistes dans leurs travaux, dans leurs discours de déconstruction des stéréotypes ou dans leurs actions, ils font eux-mêmes preuve de réflexes racistes. Ce racisme intra-sectoriel se déroule dans des espaces où l’on réfute pourtant la hiérarchisation des races et des cultures et où l’on prône l’égalité, voire l’équité (par exemple un parti politique progressiste, une association antiraciste, …).
Le racisme paradoxal est un élément important dans la compréhension des dynamiques inter-associatives. Il a en effet des conséquences psychologiques, matérielles et professionnelles directes qui impactent les stratégies collectives d’émancipation ainsi que les possibilités individuelles d’exercer certains métiers dans le domaine associatif. Pour les militants afro-descendants, il est inadmissible de devoir se défendre contre les siens, au sein de leur « famille antiraciste ».
Afrilience : les stratégies afro-descendantes d’auto-défense face au racisme
Afrilience constitue des stratégies que les afro-descendants mettent en place pour lutter contre le racisme et surtout pour se reconstruire notamment psychologiquement : organiser une manifestation, créer une association, déconstruire les stéréotypes, prendre des cours sur l’histoire de l’Afrique, parler à un thérapeute, … En fonction du type de conséquence du racisme, différentes formes de stratégies peuvent être mises en place. Dans leur livre, les deux auteurs reviennent concrètement sur ces diverses stratégies.
Ce livre est une mine d’or de compréhension du racisme et de l’anti-racisme. Mireille Tsheusi brille au quotidien dans son travail désormais reconnu à l’échelle national, par sa pertinence et sa justesse d’analyse.
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