Avec son double album Iconic, Bantunani ne célèbre pas vingt ans de carrière. Il les dissèque,
les déconstruit, les ressuscite. En 52 morceaux, l’artiste congolais-français livre un projet
foisonnant, à mi-chemin entre fresque musicale et manifeste politique. Un pavé dans la mare du
showbiz, signé d’une plume aiguisée.
Une rétrospective ? Non : une réinvention
Qu’on ne s’y trompe pas : Iconic n’est pas une simple compilation de hits remastérisés.
Bantunani parle ici de « réinterpolation numérique » — un terme technique qui en dit long sur
son ambition de recomposer plutôt que de recycler. Entre Paris, New York, Orléans et Monaco,
avec ses musiciens historiques et le trio vocal japonais Misato, l’artiste ressuscite des morceaux
oubliés en les ancrant dans notre époque. Le résultat : un journal intime sonore éclaté, où
l’artiste se regarde sans fard — et parfois sans pitié.
Musique et politique : une écriture au scalpel
Derrière le groove, la charge. Don’t Touch the Boy, morceau coup de poing sur la
pédocriminalité, convoque le fantôme de The Wall de Pink Floyd, et enfile les gants du combat.
Dans Democrature, Citizen ou encore USA-U-SAY, Bantunani griffe les illusions démocratiques
et tacle les dérives du pouvoir, sur fond de beats nerveux et de basse chaloupée. Une verve
politique qui n’épargne pas non plus l’industrie musicale : Bigstar, Music Industry ou The Price
for Grammy décapent les dorures du succès et grattent le vernis de la célébrité jusqu’à l’os.
Un patchwork musical sous haute tension
Côté son, Iconic est un kaléidoscope en transe. Tantôt afro-funk mutant (Strange Boogie,
Nightwalkers), tantôt électro-latino sous amphétamines (Bogotá Spell, Lady Valencia), tantôt
soul urbaine (Love in Paris), Bantunani navigue sans boussole dans un océan de styles. Ses
racines congolaises croisent les échos de James Brown, Sam Cooke ou Michael Jackson, mais
avec une désinvolture toute personnelle. Ici, le groove est politique. Et la danse, une forme de
résistance.
Le mythe du héros déchu
Dans ce double album, Bantunani enterre aussi les idoles. La sienne d’abord, dans Batman, My
Hero, ballade crépusculaire au piano où le super-héros prend sa retraite. Mais aussi celles d’un
monde en crise : Let My People Go, The Lion is Dead, Russian Song… autant de titres qui
scrutent les basculements géopolitiques avec une gravité assumée. En filigrane, une idée
obsédante : peut-on encore croire aux figures salvatrices dans un monde désenchanté ?
Testament ou nouveau départ ?
Ma messe est dite, il ne parlera plus
Glisse Bantunani dans un souffle final. Mais peut-on vraiment croire à cet adieu, quand Iconic
déborde d’une telle urgence créative ? Avec ses 50 titres (et un bonus), l’album frôle l’excès,
frise parfois l’épuisement — mais c’est aussi là que réside sa force. C’est le cri d’un artiste qui,
à défaut de trouver la paix, refuse de se taire.
Avec Iconic, Bantunani ne signe pas une conclusion. Il ouvre un nouveau chapitre — plus
introspectif, plus radical, et toujours indomptable.