Le nouvel EP de Kavena Gomos, Pas suffisamment vulnérable, n’a pas de titre anodin. Derrière ces mots, un manifeste personnel, intime et politique. Rappeur et slameur basé en Belgique, Le Dauphin — son alias artistique — trace sa voie en marge des codes dominants, armé de vers ciselés et d’un flow empreint de poésie. Pas de storytelling clinquant, mais un effort sincère pour mettre en musique une quête identitaire, une remise en question de la masculinité et une ouverture vers le sensible.

Un homme, plusieurs voix

Né en 1996, Kavena n’était pas prédestiné à la scène musicale. C’est en 2006, à l’écoute de titres comme Macadam ou Destinée de Youssoupha, qu’il découvre le pouvoir des mots. Puis, en 2013, une professeure de français l’initie à la poésie. C’est le début d’un amour durable pour les textes. Dès lors, le rap et le slam deviennent les médiums de son introspection, mais aussi de son observation du monde.

Dans une société où l’homme noir est souvent enfermé dans des archétypes virils, Kavena choisit de briser ces attentes. Il refuse la posture du “mâle alpha” et lui préfère la vulnérabilité assumée. Une démarche nourrie par ses lectures, en particulier l’essai La volonté de changer de bell hooks, autrice afro-féministe majeure. Cette œuvre agit comme un déclic : “Grâce à son analyse, j’ai pu comprendre des aspects de ma personne, mais également ce qui gangrenait les hommes de mon entourage”, écrit-il.

Un EP comme un miroir brisé

Composé en collaboration avec le producteur Luis Tigse, Pas suffisamment vulnérable est un EP de sept titres qui oscille entre slam introspectif et rap habité. On y croise des titres évocateurs : Avenue de la Honte, Bonjour Tristesse, Sous Pression, Menteur… Des morceaux où se mêlent les voix de Florence Babe ou Jela Jahina, pour amplifier cette polyphonie intérieure.

Enregistré au Seventh Room Studio, le projet bénéficie d’un soin particulier dans sa production, entre beats ciselés et ambiances feutrées. Mais ce sont surtout les mots qui frappent. Kavena y met à nu ses contradictions, ses doutes, ses colères calmes. À travers lui, c’est une jeunesse diasporique qui interroge ses rôles sociaux, sa place, ses héritages.

Entre Bruxelles et la négritude

L’artiste revendique une filiation avec la “poésie de la négritude”, mais revisitée à l’aune de son époque et de sa vie en Belgique. Là où Aimé Césaire chantait l’Afrique noire et les luttes décoloniales, Kavena parle d’amour contrarié, d’injonctions viriles, de villes grises et de peaux qu’on frotte au réel. Il ne prétend pas réinventer le rap, mais propose une parole rare : celle d’un homme qui doute à haute voix.

Un artiste à suivre

Présent sur des scènes engagées (Black History Month Belgium, Festival Congolisation, Nuff Said…), Le Dauphin ne se contente pas de produire des morceaux, il crée des ponts entre musique, performance et réflexion. Dans un paysage musical souvent obsédé par l’image et la posture, Kavena Gomos offre une alternative salutaire : celle d’un rap fragile, lucide, qui fait du doute une force.

Pas suffisamment vulnérable n’est pas un cri, mais une confidence. Une œuvre à écouter comme on lirait un journal intime écrit à plusieurs voix.