Moïse Essoh et le CODE dans les couloirs de l’ONU
C’était l’occasion pour le CODE de revenir sur la situation des droits humains au Cameroun, une problématique que le CODE connaît bien.
Si l’action menée par le CODE à l’Hôtel Intercontinental de Genève le samedi 26 février dernier a rencontré un large écho dans les médias, on oublie souvent qu’elle était précédée d’une action diplomatique menée la veille, le vendredi 25 février, auprès de la Commission de Droits de l’Homme des Nations Unies. C’était l’occasion pour le CODE de revenir sur la situation des droits humains au Cameroun, une problématique que le CODE connaît bien. En avril 2010 déjà elle avait été la seule organisation, avec la FIACAT, à apporter une contradiction officielle aux mensonges d’Etat du régime de M. Biya sur de la situations des droits humains au Cameroun. Cela se passait lors de la 44ème session du Comité contre la Torture (CAT) de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève. La présence du CODE avait semé la panique dans la délégation gouvernementale, qui avait lâchement fuit la confrontation directe avec le Dr. ESSOH, délégué du CODE en 2010. Par la suite, la contribution du CODE, jugée valable par l’ONU, avait été publiée par la suite sur le site des Nations Unies.
En février dernier, à mi-parcours entre l’examen de 2010 et le prochain de 2014, il s’agissait pour le CODE d’effectuer une mission de suivi. C’est dans une ambiance de responsabilité que le Dr Moïse ESSOH, pour le CODE, a porté la parole de tous les signataires du document qu’il a fourni en mains propres à l’ONU. Un document rédigé par le CODE et son partenaire dans cette action, le DNK.
Tout récemment, la contribution du CODE et de DNK, devenue un document de base de travail pour l’ONU, a une fois de plus été publiée sur le site des Nations Unies : (voir 44ème session, document de suivi du CODE et de DNK).
A l’occasion de cette publication, nous avons rencontré le Dr. ESSOH, leader du CODE, pour un entretien autour des retombées de cette action :
Le CODE, quelle qu’en soit la branche, avait habitué les Camerounais a plus d’action. Pourquoi ce silence relatif depuis quelques mois ?
M. ESSOH : Bonjour M. Essama. D’abord, le CODE est bel et bien vivant et toujours aussi déterminé. Avec tous ceux qui se sont toujours réclamés du CODE, et même au-delà, nous travaillons actuellement à converger pour former une force qui, je l’espère, va apporter pleinement contribuer à la libération du peuple camerounais du régime dictatorial et sanguinaire de M. Paul Barthélemy Biya et à l’avènement, dans le même temps, d’un régime véritablement patriotique et démocratique. Nous sommes là, avec les combattants Brice Nitcheu, Tene Sop, le capitaine Zogo, le Dr Ndjoumi et les autres ensemble, travaillant à plus de cohérence. C’est un peu notre priorité pour le moment, car la cohérence doit précéder l’unité, et pas l’inverse, qui se solde souvent d’ailleurs par un échec. Nous ne voulons pas reproduire les échecs, dans plusieurs pays africains, des « rassemblements » et des « unions » de l’opposition dus au fait que les gens se rassemblent pour se rassembler et constatent seulement après que leurs incohérences sont trop grandes pour tenir un front ensemble. La cohérence est essentielle à un front qui ne soit pas une posture ou une gageure. Et en ce qui concerne le CODE, nous avons d’abord commencé ce processus sur le terrain : depuis avril 2011, nous travaillons ensemble, comme pour le boycott de la mascarade présidentielle, de juin à novembre, comme pour honorer les martyrs de février 2008 à Genève. Et ça se passe très bien. Et nous continuerons ainsi.
EBJ : Revenons à cette action auprès du Comité Contre la Torture des Nations Unies. Qui vous a reçu et comment a-t-il accueilli la démarche du CODE et de DNK ?
M. ESSOH : L’entretien a eu lieu dans le bureau de M. Nataf, secrétaire du Comité Contre la Torture, dont l’adjoint, M. Leoz, a salué notre démarche. D’abord parce que c’était une action de suivi. En effet, les gens viennent souvent auprès de ces institutions une fois, et puis plus rien. Ils disparaissent dans la nature. Nous, nous avons une stratégie dans le temps, et nous essayons de la tenir en leaders responsables et conséquents. La démarche a également été bien accueillie parce que nous apportions des éléments d’information et d’évaluation suite à la première rencontre que nous avions eue en 2010. Non seulement nous avons démontré la dégradation continue des droits humains sur le terrain au Cameroun, mais nous avons également constaté que le Cameroun n’a jamais commencé à mettre en œuvre ses propres engagements et les recommandations issues du rapport de 2010. Et j’ai interpellé le représentant des Nations Unies à ce sujet, dénonçant la passivité de son institution face à ce constat qui n’est ignoré de personne. Je dois avouer que l’homme s’est empressé de tenter de justifier que l’ONU ne dort pas. Il m’a ainsi fait part des interpellations récentes au gouvernement camerounais dans ce domaine, avec des documents à l’appui.
EBJ : De quoi avez-vous parlé, en plus de ce qui est repris dans votre document ?
M. ESSOH : Nous avons insisté sur les massacres de février 2008, sur la nécessité, même 5 ans plus tard, d’une commission d’enquête sur ces massacres, dont l’assassinat de notre camarade Jacques Tiwa. J’ai beaucoup insisté sur le sort des prisonniers de février 2008 qui continuent de croupir en prison. J’ai également, comme vous le lisez dans la contribution, parlé de l’affaire de Vanessa Tchatchou et des bébés volés en général. Il faut préciser que Mlle Tchatchou était encore à l’hôpital à ce moment-là. Et le lendemain devant l’Intercontinental, avec Nitcheu, nous avons insisté sur sa situation. Pour le reste, j’ai surtout détaillé oralement les éléments d’information repris dans le document, et j’ai expliqué le contexte sociopolitique, à savoir la mascarade présidentielle de 2011, les tripatouillages pour maintenir ELECAM, le renforcement de la dictature qui se bat en même temps contre sa propre implosion. L’entretien a duré environ deux heures.
EBJ : Est-ce qu’on peut se fier aux Nations Unies, quand on connaît leur soumission à certaines puissances occidentales qui soutiennent certaines dictatures tout en dictant leur loi à d’autres pays à travers des résolutions de l’ONU ?
M. ESSOH : Je veux d’abord préciser que le but pour nous n’est pas de demander que les Nations Unies envoient des hélicoptères au Cameroun pour déloger Paul Biya et ses sbires. Nous ne sommes pas dans cette logique-là. C’est au peuple camerounais qu’il revient de lutter en premier pour sa propre libération. Nous, comme éléments de ce peuple, notre but était de faire acter l’ignoble situation des droits humains au Cameroun partout où elle doit être actée. Surtout partout où le régime sanguinaire et liberticide Biya propage des mensonges. Ce n’est donc pas avec naïveté que nous allons vers ces institutions, ni dans un esprit de « sauvez-nous ! ».
D’ailleurs, le représentant des Nations Unies a reconnu que l’ONU n’a pas de moyen de pression, mais il s’est justifié en ajoutant que les démarches comme celle du CODE permettent de clarifier la situation sociopolitique du Cameroun. Ce qui a un impact sérieux sur la cotation du pays en matière de sécurité des investissements étrangers. Or on sait que c’est en partie de ces investissements que viennent les moyens, par voie de corruption, avec lesquels le régime se maintient au pouvoir. Des investissements qui n’ont souvent aucune conséquence positive sur le niveau de vie réel du peuple. Compromettre ces entrées est donc une très petite victoire, certes, mais une victoire quand même. En attendant et en y travaillant, que les conditions d’une révolution fulgurante arrivent au Cameroun, c’est avec de telles petites victoires, cumulées et continues, que nous gagnerons le combat de la libération du peuple camerounais du joug de la dictature de Paul Biya et de ses mentors occidentaux. C’est notre part de travail ici en diaspora.
EBJ : La lutte ne se mène-t-elle pas mieux au Cameroun même ? Car beaucoup doutent de l’impact de vos actions, tant diplomatiques que d’éclat ici à l’étranger…
M. ESSOH : Il y aura toujours des Camerounais à l’étranger. Si ce ne sont pas des Moïse Essoh, Wanko, Tene, Nitcheu, Zogo, Elong, etc, ce seront d’autres. Et tant qu’il y aura des Camerounais à l’étranger, ces Camerounais devront être les ambassadeurs de leur peuple. Pourquoi le régime dictatorial d’Etoudi aurait-il des ambassades, pourquoi le RDPC aurait-il des sections à l’étranger, qui confondent d’ailleurs leur siège avec ces ambassades, et pourquoi le peuple camerounais et l’opposition n’en auraient pas ? D’autant plus que le régime de Biya a totalement démissionné de la défense les intérêts du peuple camerounais même à l’étranger. Nous sommes donc les ambassadeurs de notre peuple qui souffre et qui aspire profondément au vrai changement.
Et puis, aujourd’hui, le combat se mène sur plusieurs fronts. Et si en effet le front principal reste le Cameroun, il y a aussi des fronts secondaires dont la diaspora, la diplomatie, etc. Et nous espérons que les Camerounais de la diaspora, partout où ils sont, n’oublieront pas les souffrances de leurs frères et sœurs qui ploient sous la dictature de Paul Biya, et qu’ils se mobiliseront en masse pour mettre fin à cet enfer qui dure depuis trop longtemps. C’est ça notre part.
EBJ : Le prochain rendez-vous du CODE ?
M. ESSOH : Vous serez informés en temps utile. Soyez rassurés. Et ce sera toujours ensemble, dans le front patriotique que nous construisons en ce moment. Pour l’instant, nous soutenons les Camerounais dans leur lutte pour la disparition d’ELECAM. S’il faut encore passer par la voie électorale pour changer le Cameroun, une Commission Electorale Nationale (avec toutes les composantes politiques et sociales) et véritablement Indépendante (CENI) et une nouvelle loi électorale sont indispensables.
Propos recueillis par ESSAMA Benoît Joël.