L’Afrique doit se débarrasser des langues du colonisateur
Seul continent où la quasi-totalité de sa population reçoit une éducation dans une langue qui lui est étrangère.
Les conséquences de cette situation cocasse sont dramatiques. Seule une minorité comprend la langue internationale qui est utilisée comme langue officielle d’enseignement et de communication. Le débat démocratique, l’information économique et le contrôle de l’appareil étatique sont monopolisés par cette caste de privilégiés. De par sa maîtrise de la langue internationale, celle-ci oppresse la masse populaire qui continue de penser et de s’exprimer en langues africaines, parlées sur le continent bien avant l’arrivée des esclavagistes, des missionnaires et des colons. Seul le domaine musical, échappe à cette hégémonie des langues internationales. Les artistes sont perçus comme des éducateurs sociaux du fait qu’ils continuent de s’adresser à la masse en langues africaines. Quand ils n’avilissent pas celle-ci, ils usent de nombreux médiums qu’ils maîtrisent pour transmettre des enseignements, pour questionner la société en pleine mutation et parfois se font les porte-parole des oubliés de l’Afrique post-coloniale.
Une éducation biaisée
Débuter sa scolarité en Afrique est synonyme d’être confronté à assimiler, en répétant sans cesse, des notions de locution, d’orthographe et de grammaire d’une langue Internationale dont 85 % des enfants africains n’ont jamais parlée ni souvent entendue. L’apprentissage que l’élève africain entreprend n’est pas significatif et les éléments qu’il inculque ne transforme pas sa perception de son environnement immédiat. Mais cela crée dans son esprit un monde imaginaire fait d’une suite de concepts vides de sens une fois confrontés à sa réalité. Dès la maternelle, l’enfant africain débute cette mutation qui le coupera de son héritage historique et culturel. Ce choc cognitif est précédé d’un sevrage brutal où il abandonne les acquis de sa langue maternelle. La lassitude qui aboutit au décrochage scolaire avant le secondaire tire son origine de cette acculturation précoce.
Enseigner en langue maternelle a pour effet immédiat de permettre à l’enfant de mieux comprendre, de débuter dès l’enfance le processus de réflexion qui facilitera son ancrage dans son milieu naturel afin que son éducation fasse de lui le moteur du progrès social et économique de son pays. De même ses parents, même s’ils ne sont pas alphabétisés, pourront l’aider dans ses devoirs parce que la langue de l’enseignement est celle qu’ils parlent eux-même à la maison. Quand les parents ne sont pas capables de s’adapter à ces bouleversements, à cause de la barrière linguistique, aider l’enfant dans son émulation devient impossible. Aucune discussion n’est possible à la maison et s’il y a des difficultés d’apprentissage, l’école devient une oppression latente qui se mue en conflit de loyauté. Si l’enfant s’attache à sa famille, pour lui ressembler, il règle ce conflit en s’opposant aux méthodes des enseignants. Ceux-ci se transforment dès lors en tortionnaires, il en découle de la lassitude pour aller à l’école afin d’apprendre la langue étrangère. Cette résistance passive mène au décrochage scolaire avant la fin du primaire.
La réussite est une trahison
Le cas de l’enfant qui réussit sa scolarité n’est pas si reluisant que cela. Ce dernier abandonne les acquis de sa langue maternelle, même s’il la parle toujours, sa réflexion se construit en langue internationale. C’est une violence silencieuse et sournoise qui aboutit à un sentiment de honte, la réussite étant vécue comme trahison, et il s’ensuit une forme de souffrance qui s’exprime en orgueil vis-à-vis des autres qui ne maîtrisent pas la langue internationale. C’est de là que vient le mépris de classe qui sévit en Afrique. L’illustration la plus frappante et la prolifération des vidéos faites en Afrique par des africains pour se moquer des accents et de l’ignorance des autres. Une forme de racisme dans la race.
L’échec du développement économique en Afrique, est en partie dû au fait que la majorité des acteurs économiques sont issue de la masse non éduquée qui est privée de la diffusion du savoir au sein des sociétés africaines, et ce, du fait de l’usage d’une langue internationale sur tous les supports d’information. L’économie informelle dans laquelle œuvre la majorité des citoyens africains se fait en langues africaines, langues des interactions quotidiennes qui permettent à cette majorité, rendue invisible, de se procurer de maigres moyens de subsistance. Pendant que l’économie formelle, basée sur l’exploitation des ressources naturelles et des services, est entre les mains de la minorité autochtone éduquée et des étrangers. Celle-ci profite des avancées scientifiques et technologiques des pays développés, disponible en langues internationales. Leur vulgarisation en langues africaines est inexistante.
Des conséquences économiques
Prenons l’exemple d’un vendeur ambulant ou d’une vendeuse de marché. Ces métiers essentiels à la survie de beaucoup de familles africaines sont exercées par des personnes qui ne s’expriment qu’en langues maternelles. S’il existait des cours de promotion sociale en langues africaines cela aurait permis l’acquisition de nouveaux savoirs tels que le marketing et les techniques de vente, essentiels. L’usage des technologies de l’information aurait facilité la distribution des produits locaux et la prospection de nouveaux clients. De même pour les artisans, ils auraient pu grâce aux plateformes vidéos et aux réseaux sociaux, appliquer pour leur usage professionnel, tous les tutoriels qui existent aujourd’hui et qui sont disponibles gratuitement. Même si ces besoins ne semblent pas habiter intuitivement les personnes concernées, la qualification professionnelle, ailleurs qu’en Afrique, s’est faite en ajoutant progressivement des compétences rendues obligatoires, car nécessaire, pour l’exercice des métiers de base. Ne pas aider ces acteurs à devenir compétitifs les vulnérabilise dans la guerre économique à laquelle la globalisation les expose.
Exclus du village mondial
Quand le modèle de l’«Open Source» prospère dans le monde, la barrière linguistique et le coût financier de l’enseignement mettent en marge de la société, la majorité des populations africaines qui sont ainsi exclues du village mondial que crée la mondialisation. Les cultures africaines, basées sur la tradition orale, perdent leurs héritiers et ne savent plus être préservées et enseignées comme cela se faisait dans le passé. Même dans le domaine du conseil, rares sont les services qui sont proposés en langues africaines. La majorité, non aliénée, ignore ses droits et est incapable d’activer tous les leviers qu’autorisent les constitutions africaines pour s’assurer son bien-être. Le seul moment où la communication officielle se fait majoritairement en langues africaines, c’est quand viennent les élections dites démocratiques. Les acteurs politiques issus des milieux éduqués se servent de ce vecteur de choix pour distiller des idéologies populistes et infantilisent la masse. Celle-ci ne possède aucun levier de pouvoir pour participer après au débat politique et citoyen parce qu’une fois élus, parlementaires, gouverneurs, ministres et président exercent leurs métiers en langue internationale. Le pouvoir n’appartient pas au peuple mais à celui qui maîtrise la langue étrangère, demeurée officielle même après les indépendances.
Toutefois, il ne s’agit pas de supprimer ou d’interdire l’usage des langues internationales en Afrique mais plutôt de réserver celles-ci aux personnes désireuses de poursuivre des études secondaires ou universitaires du fait que la majorité des citoyens, même dans les pays avancés, ne vont à l’Université. Ainsi une différence sera faite entre la langue de l’acquisition du savoir, c’est-à-dire la langue de l’enseignement et la langue de communication qui correspond à celle utilisée pour partager ce savoir en dehors des frontières du pays et pour échanger avec les étrangers et maintenir ce lien avec l’intelligentsia mondiale.
Dépoussièrer les langues africaines
La langue maternelle utilisée comme vecteur de transmission du savoir entrant, permettrait que des sciences telles que la philosophie, les mathématiques, la biologie, la physique, la chimie, la santé publique, l’histoire, la géographie, l’économie et la sociologie, dans leurs notions de base, puissent être traduites en langues africaines afin d’éveiller les masses. Les langues maternelles africaines se verront ainsi dépoussiérées et elles évolueront face aux exigences des idées universelles qui sont devenues les socles de nos sociétés contemporaines. Les populations qui les parlent seront capables, en langues africaines, de comprendre les enjeux mondiaux, de bâtir une argumentation et de construire un discours qui alimentera le débat politique national afin de ne plus être marginalisées. L’enseignement jouera enfin son rôle de rempart contre l’exclusion sociale.
La langue maternelle comme pépinière de matières pour le savoir sortant en langues internationales permettrait, grâce à la richesse des enseignements de chacune des tribus et ethnies africaines, de lutter contre la diffusion des discours erronés sur l’Afrique, fruits d’un regard biaisé sur les réalités africaines. L’histoire de l’Afrique est souvent racontée par des non-originaires du continent. Au terme de cette malsaine appropriation culturelle, la diversité ethnique sera enfin sublimée sous le prisme des traditions qui respectent l’environnement, des organisations sociales basées sur la communion plutôt que la consommation, des exemples de solidarité effective rempart contre la précarité, une liste non exhaustive des alternatives nécessaires à l’individualisme. L’exemple des peuples comme les pygmées qui possèdent une grande connaissance sur les plantes médicinales, atteste que les médecines traditionnelles africaines peuvent être un contrepoids face aux industries pharmaceutiques. Ce savoir doit profiter à l’Afrique et à l’Humanité. Et cela rappellera au reste du monde que les guerres tribales ou inter-ethniques qui ensanglantent l’Afrique tirent leurs origines du pillage des ressources que lui inflige le capitalisme et non pas de la diversité de ses populations autochtones.
Néodécolonisation
Ce changement de paradigme est une urgence car l’Afrique a besoin de vivre par elle-même, d’être inspirée par des penseurs qui parlent, écrivent et diffusent en langues africaines. Cet éveil peut aussi se faire à travers un cinéma, en langues africaines, dans des contextes qui ressemblent à l’environnement immédiat de la majorité des populations africaines, avec des protagonistes qui portent les voix et les aspirations de ces oubliés, dans des rôles dramatiques et sérieux plutôt que caricaturaux. Cela participera à la décolonisation nécessaire des imaginaires, sans quoi le progrès tant attendu ne sera que chimère, savoir et excellence ne vont jamais rimer avec terroir.
Comme l’a écrit Fary Ndao, ingénieur géologue et ancien membre du cercle de réflexion «L’Afrique des Idées», dans son article, sur le sujet, publié dans Le monde:
«L’ enseignement en langues africaines pourrait faire reculer l’obscurantisme religieux dans des pays où la masse communique avec ses guides dans les langues qu’elle comprend, quand dans le même temps, les lettrés s’enferment dans de nombreux colloques boudés par cette même masse. À l’heure où émergent de plus en plus de mouvement radicaux, la langue maternelle peut constituer un rempart contre le fanatisme, grâce à l’ouverture qu’elle pourra apporter sur d’autres horizons culturels.»