Entretien avec meiway. « le coupé décalé n’a pas d’âme »
Artiste scrupuleux, perfectionniste, Frédéric Ehui, dit Meiway s’est confié à brukmer.be. Le géniteur du Zoblazo, originaire de Grand-Bassam en côte d’Ivoire, nous parle de lui, de musique, d’Afrique et fait la lumière sur des sujets occultés.
20 ans déjà que tu es sur scène, au top, et tu n’as pas dénaturé ta musique. Comment tu réussi à survivre ?
C’est tout à fait simple, j’ai créé une musique qui n’existait pas ; il y a 20 ans j’ai inventé une musique nouvelle dont je suis le père et la mère en même temps. Il me serait très lâche de l’abandonner. Un parent qui abandonne son enfant, n’assume pas ses responsabilités. Moi j’ai décidé de prendre mes responsabilités jusqu’au bout. Ce n’est pas évident, parce que la musique évolue. J’ai fait évoluer mon zoblazo dans les pourcentages.
En terme commercial, tu ne rencontres pas d’obstacles , quand on sait qu’aujourd’hui, le commercial trimbale la musique dans tous les sens ?
Tous les jours et à tous les niveaux on rencontre des obstacles. Il n’y a pas que dans la musique. C’est vrai que la musique est le métier dans lequel on prend le plus de coups, avec la piraterie, internet et les téléchargements… Mais je pense que la plupart des personnes qui se maintiennent sont des passionnés et j’en fais partie. Je suis passionné par ce métier que j’ai choisi et c’est ce qui me donne envie de donner le meilleur de moi-même partout où je me produit.
Meiway, que penses tu réellement du coupé décalé ?
C’est une fierté Ivoirienne, mais en même temps c’est un piège artistique parce qu’elle n’a pas d’âme ; d’autant plus que tous ces DJ qui ont eu cette opportunité durant la crise d’émerger, n’ont pas fait d’apprentissage. Or dans tout corps de métier, la base c’est l’apprentissage. Pour enchaîner des tubes, il faut avoir des notions, il faut être professionnel, si vous ne l’êtes pas, vous pouvez faire un tube par hasard, mais le plus difficile sera de confirmer le succès. Voilà pourquoi des gens arrivent sur scène et disparaissent le lendemain.
En d’autres termes, le coupé décalé serait voué à la chute !?
Pas du tout ! si tous ces adeptes se mettent au travail, cette musique restera. S’ils se mettent à l’apprentissage ils ne seront plus comme aujourd’hui à la merci des arrangeurs. Car le jour où l’arrangeur perd l’inspiration, c’est tout qui tombera. Pour l’instant, c’est précaire, et ce n’est pas ce que je souhaite, d’autant plus que je suis ivoirien. D’ailleurs je leur ai fait un clin d’œil dans un de mes titres (Dj tassouman) pour leur dire que je suis solidaire de leur action.
Certains artistes africains estiment que le coupé décalé n’existe pas. Ce serait selon eux, un mélange, un assemblage de rythmes divers, notamment le Ndombolo-Soukouss, le Makossa… Y a-t-il vraiment une racine ivoirienne dans le coupé décalé hors mis la danse ?
C’est complètement faux ! A partir du moment où on identifie le coupé décalé par une sonorité, alors, cette tendance existe. Je répète qu’elle a un problème d’âme, parce que les adeptes ne sont pas de vrais musiciens. Ça ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. C’est la musique la plus dansée en Afrique aujourd’hui. Elle est au dessus du soukouss. On écoute même plus le soukouss.
Tes clips vidéo sont d’une originalité épatante. Qu’est ce qui t’inspire ?
Ma musique est tirée du patrimoine culturel ivoirien. Je l’ai voulu évolutive, et de part mon métissage culturel, j’ai toujours voulu faire des clins d’œil à tous les autres peuples. Ma musique est très métissée, ce qui la rend intemporelle.
On retrouve souvent une dimension mystique dans tes clips.
Euh…Je n’aime pas trop en parler, mais en réalité, ma musique est tirée du terroir, elle est typique africaine. Il est très important pour moi d’être en harmonie au niveau visuel avec la musique que je défend. Il me serait donc difficile pour cette musique là, d’aller tourner des clips au bas de la tour Eiffel, de l’arc de triomphe, ou encore du manneken Pis. Il faut que j’aille à la source. Mon souhait a toujours été de faire des images dans mon pays, en Afrique, montrer mon environnement et la joie de vivre. Ce qui fait que les africains, amoureux du continent ne restent pas indifférents.
Pour le côté mystique, Il a trait à toutes les choses de chez nous qui existent, mais dont on ne parle pas souvent. Moi j’ai décidé d’en parler. Je suis un initié, je me suis initié à beaucoup de choses ; je me dis que c’est important qu’on mette en avant toutes nos richesses, à partir du moment où elles sont positives. Je n’irai jamais m’inspirer des choses mystiques pour détruire. Je m’inspire du mystique pour construire. Je n’irai jamais voir un sorcier pour tuer ! Mais je pourrais voir un sorcier pour évoluer et faire évoluer les choses.
Il y a quelques années tu chantais pour les Bamilékés. Grosse surprise pour les camerounais. Comment c’est arrivé ?
Je suis arrivé pour la première fois au Cameroun en 1991. Là bas, j’ai rencontré ce peuple que j’ai appris à connaitre au file des années ; et progressivement, j’ai compris qu’on a besoin de ces africains là, pour l’avenir de l’Afrique. On a besoin des africains qui travaillent, qui aiment le travail et qui investissent dans leurs pays. Beaucoup d’Africains quand ils ont un peu d’argent, ils achètent une villa sur les champ élysés, des appartements en suisse… Les Bamilékés ont investi dans leurs pays et je pense que, si le Cameroun est encore debout aujourd’hui, c’est grâce aux Bamilékés. Le temps est passé et je me suis dit que je devais leur rendre hommage.
Dans la chanson, tu t’exprime en langue Bamiléké. Comment ?
Par concours de circonstance, J’ai fait deux enfants avec une Bamiléké de Bagangté. Elle m’aidait à écrire, à prononcer. Avec sa mère, nous avons écrit le morceau et c’est ainsi qu’est né « Bami Power » qui a fait un tabac au Cameroun.
Par Nel Nziemi Tsopo