15 journalistes français en goguette aux frais du Cameroun
Le Cameroun invite à partir de lundi une quinzaine de journalistes français qui célébreront la fête nationale du 20 mai autour de l’inamovible président Paul Biya.
On a tout lieu de craindre que l’emprisonnement d’opposants, la corruption, la déforestation massive ou la longévité du dictateur au pouvoir (plus de 28 ans) seront moins évoqués dans leur reportages que les supposées avancées de ce pays africain.
C’est le quotidien camerounais Le Jour qui révèle l’information, dans un article daté de vendredi. La quinzaine de journalistes, « triés sur le volet, et issus, pour la plupart, de la presse quotidienne et hebdomadaire française », bénéficieront d’un traitement de choix pendant leur séjour : nourris, logés, nantis « d’un chauffeur pour des balades bien encadrées ». « Tout cela aux frais du contribuables camerounais », ajoute le journal. « Ces pays souffrent de nombreux clichés »
L’agence Stratline Communication, qui organise ce voyage de presse, est connue pour faire paraître des publi-reportages dans des journaux comme Le Monde, Le Figaro, Valeurs Actuelles, Le Nouvel Economiste, selon les références qu’on peut lire sur son site. Il s’agit généralement de cahiers vantant la bonne santé de pays peu connus pour leur système démocratique, et les nombreuses opportunités d’affaires y existant pour les entreprises.
Jamais, évidemment, les problèmes de droits de l’homme, de corruption ou d’environnement ne sont abordés. Seules les opportunités d’affaires sont mise en avant. Yasmine Bahri Domon, patronne de Stratline, agence basée en Suisse et à Paris, s’en expliquait dans une interview à Les Afriques :
« Sur le continent africain, le cœur de notre métier consiste à mettre en valeur les pays à fort potentiel qui fournissent de réels efforts de développement. Ces pays sont généralement mal connus, souffrent des nombreux clichés qui circulent sur l’Afrique. »
Jointe par Le Jour, Yasmine Bahri Domon « n’a ni confirmé, ni infirmé » être à l’origine de ce voyage de presse :
« Manifestement embarrassée, elle s’est plutôt contentée de savoir d’où venait l’information et s’est défendue de se livrer à une quelconque propagande. »
Grâce à la pub, les aspects controversés sont occultés
La plupart du temps, le fait d’accepter un publi-rédactionnel (facturé plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire une centaine de milliers dans le cas de cahiers publiés dans des journaux à grand tirage) pousse les médias à taire les aspects problématiques de la gouvernance de ces pays.
ll y a aussi le cas très particulier des médias du groupe Bolloré, qui n’ont pas besoin d’accueillir de la publicité pour se montrer complaisants : Direct Matin, Direct Soir ou Direct 8 déroulent régulièrement le tapis rouge à Paul Biya (entre autres dictateurs africains) afin de servir les intérêts industriels du groupe, qui gère de nombreux ports et plantations en Afrique.
Nous n’avons pas encore la liste précise des médias ayant accepté ce voyage de presse au Cameroun. En attendant, nos lecteurs vont pouvoir se livrer à un petit jeu. La semaine prochaine, les envoyés spéciaux de la presse française vont-ils préciser que leur séjour est payé par le pays sur lequel ils écrivent ? Vont-ils aborder les sujets suivants ?
Pourquoi le Français Michel Thierry Atangana est-il en prison depuis quatorze ans, et comment expliquer l’inaction de Paris sur ce dossier ?
Comment va l’écrivain Bernard Zepherin Teyou, libéré le 29 avril après avoir été emprisonné pendant plus de cinq mois pour avoir écrit un livre sur la femme de Paul Biya ? Selon Amnesty International, sa santé s’améliore.
Paul Biya lutte-t-il efficacement contre la corruption ? D’après Transparency International, non : classé 141e en 2008, le Cameroun est passé en 2010 à la 146e place sur 178 pays (le dernier étant le plus corrompu).
Qu’en est-il de ce que l’ONG Global Witness qualifie de « destruction légale de la forêt vierge » camerounaise au profit d’une vingtaine de compagnies occidentales ?
Et qu’en est-il des accusations de répression gouvernementale portées par des opposants et des journalistes, à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre ?
Il va de soi que cette opération de communication s’inscrit dans la préparation de cette prochaine élection. Une nouvelle opération de « blanchiment d’image » d’un régime autocratique, comme le fait l’Ouzbékistan, par exemple.
Le quotidien Le Jour, lui, parle de « propagande » et d’une volonté de « polir l’image » du Cameroun.