Ce qu’on ne dit pas à propos de Mandela
« L’autre héritage de mandela »: Pour des raisons qui lui étaient propres, le président Mandela n’a pas voulu redistribuer les cartes.
Pendant les cinq années (1994 à 1999) de Nelson Mandela au pouvoir, l’Afrique du Sud était au- devant de l’actualité du continent et faisait la une des journaux du monde entier. Les journalistes et leurs spécialistes de circonstance y vantaient les prouesses d’ « un homme exceptionnel » devenu un modèle de patience, de tolérance, d’abnégation… Bref l’incarnation de toutes les vertus. Parallèlement, Madiba parcourait la planète et recevait des prix de toute nature, couronnés par le Nobel de la paix en 1993.
Orienté par les médias (qui étaient déjà très proches des puissances de l’argent), le commun des citoyens ne pouvait pas interroger la gestion d’un président qui était d’emblée présenté comme différent des autres. Le passé de Nelson Mandela a ainsi été instrumentalisé et présenté comme un sauf-conduire. Pendant ses cinq années de pouvoir, l’on s’est plus concentré sur le personnage que sur sa politique. Tout ce qu’il faisait était bon et devenait la règle devant guider toute action future.
Mandela décide de passer l’éponge sur les crimes commis par les architectes de l’apartheid ? C’est un modèle. Il décide de laisser 83% des terres arables du pays entre les mains de la minorité blanche ? Il n’y a pas de quoi créer une tempête dans une tasse de thé ! Le nouveau président décide d’abandonner les mines sud-africaines entre les mains de ceux qui ont soutenu et profité de l’apartheid ? C’est une preuve de désintéressement d’un président ascète. Qu’en pensent les pauvres Sud-africains qui croupissent dans les townships? Ce n’est pas important…
La bienveillance a subitement disparu avec la fin du mandat du président Mandela en 1999. Pourtant, il a laissé un pays dans lequel les contradictions et les inégalités exigeaient une thérapie de choc. Pour des raisons qui lui étaient propres, le président Mandela n’a pas voulu redistribuer les cartes. Il a préféré laisser les riches oligarques avec leurs richesses et les pauvres avec leur pauvreté. Pour accroitre leurs richesses et perpétuer leur domination sans inquiétudes, les oligarques bâtissent des forteresses et transforment la force publique en garde prétorienne. Le spectacle désolant de Marikana où la police a tiré à balles réelles, tuant 34 mineurs qui manifestaient pour exiger l’amélioration de leurs conditions de travail en 2012 est encore présent dans nos esprits.
Aujourd’hui, incapables de s’attaquer aux vrais auteurs de leur misère qui sont pourtant bien connus, les pauvres Sud-africains s’en prennent aux pauvres étrangers qu’ils chassent avec gourdins, machettes et armes à feu. Résultat des courses, on se retrouve face à une curiosité avec des Africains qui chassent d’autres Africains sur le continent africain ! Il s’agit là d’un cas sans précédent dans l’histoire de la lutte des classes.
Thabo Mbeki et Jacob Zuma ne sont pas seulement des mauvais présidents qui n’ont pas pu réduire les inégalités sociales et économiques ou juguler la criminalité en Afrique du Sud. Ils sont surtout les héritiers d’une politique mise sur pied par Nelson Mandela et conduite pendant cinq ans. Pour réduire les inégalités, lutter contre la xénophobie en Afrique du Sud, il ne suffit pas de changer un président par un autre.
Dès 2005, une campagne de diabolisation a été engagée contre le président Thabo Mbeki. Conspué par l’opinion publique nationale et internationale, lâché par son parti l’ANC, M. Mbeki a été poussé à la démission en 2008. Après une période de transition, il fut remplacé par un certain Jacob Zuma. Moins d’une décennie après, M. Zuma est critiqué par ceux qui l’ont adoubé hier. La Confédération syndicale COSATU lui a retiré sa confiance et en appelle à sa démission. La semaine dernière, le mot d’ordre : « Zuma must go », « Zuma doit partir » était encore sur toutes les lèvres ou presque.
Qu’il démissionne ou pas, cela ne changera rien aux inégalités en Afrique du Sud et leurs conséquences que sont : le ressentiment de la majorité d’exploités et/ou d’expropriés, la criminalité, l’effritement du sentiment national, la xénophobie…