Million Dollar Sisters : quand les femmes noires se servent dans la littérature américaine

Maya Angelou écrivait-elle pour de l’argent ? Trouvons la réponse dans cette célèbre citation de l’autrice : « I agree with Balzac and 19th-century writers, black and white, who say, “I write for money”. »

Argent et passion d’écrire, un couple incestueux ? Certains auteurs à succès pensent tout le contraire, et ils l’ont souvent reconnu à la face du monde, sans la moindre pudeur, que le Dieu argent a inspiré et motivé leur génie. Rappelons-nous Joseph Conrad, écrivain de renom d’origine portugaise, qui parlait parfaitement le français, une langue qu’il affectionnait particulièrement, mais qui au bout du compte avait quand même préféré écrire en anglais. Quand on lui demandait pourquoi il avait fait ce choix, il ne prenait pas de détour pour l’avouer, cash : « Pour de l’argent ».

Ce qui est tout à fait compréhensible aujourd’hui plus qu’hier. Il est beaucoup plus évident pour un auteur doué de vivre de sa plume en écrivant dans la langue de Shakespeare plutôt que dans celle de Molière : un potentiel de lecteurs plus important, un choix de maisons d’édition plus vaste et varié, des prix littéraires prolifiques et mieux dotés, entre autres multiples avantages. On le voit, la passion, l’art seul ne guide pas toujours les choix de nos écrivains adulés, ne nous en déplaise ; l’argent aussi a son mot à dire, et parfois même sur les thématiques sur lesquelles ils écrivent, ou encore sur les titres de leurs ouvrages, qui souvent leur sont imposés par l’éditeur sous un prétexte commercial.

Maya Angelou Valait entre 10 et 30 millions de dollars

Revenons à la Sister Maya Angelou qui nous a quittés en 2014, au sommet de son art, et à qui l’on n’oserait disputer sa position de co-pionnière avec Toni Morrison des femmes écrivaines de la littérature africaine-américaine, la mère étant sans conteste la poétesse Phillis Wheatly, première poète afro-américaine qui a vécu au XVIIIe siècle. Maya Angelou nous a laissé un héritage assez important. Des poésies, mais aussi et surtout sept ouvrages à caractère autobiographique, parmi lesquels figure l’emblématique I Know Why the Caged Birds Sings. Disons-le tout net, avant le succès, Maya a eu une vie pauvre, mais qui se sera finalement avérée une véritable mine d’or lorsqu’elle a eu la brillante idée de puiser dans son propre vécu pour écrire des livres.

Jadis sans le sou, violée à l’adolescence par le conjoint de sa mère, lui-même tué ensuite par les oncles de la petite Maya, la pauvre a perdu la parole pendant des années à la suite de ce choc psychologique, avant de se ressaisir plus tard et tenter tant bien que mal de gagner son pain quotidien : chanteuse et danseuse de cabaret, call girl à l’occasion, entre autres petits métiers circonstanciels. Mais elle a tenu bon, s’est mise à l’apprentissage, a commencé à écrire avec détermination, puis à force de persévérance la reconnaissance est arrivée, l’argent aussi. Maya Angelou a quitté ce monde honorée et respectée comme une personnalité de premier ordre. Lorsqu’elle décède, à l’âge de 86 ans, sa fortune personnelle est évaluée par divers rapports entre 10 et 34 millions de dollars, d’après le Daily News de New York.

Toni Morrison aura tout gagné

Toni Morrison, l’autre grosse pointure féminine de la littérature africaine-américaine (Prix Nobel 1993), avait pour sa part d’autres sources d’inspiration. À l’opposé de sa consœur Maya Angelou, Toni Morrison préconise l’imagination comme la matière première de prédilection, la mère nourricière idéale de l’œuvre littéraire par définition. Elle disait d’ailleurs n’avoir pas beaucoup de considération pour ces auteurs contemporains qui se contentaient de relater leurs vies dans leurs ouvrages – trop facile. Professeur de Lettres, Toni Morrison n’avait de cesse de répéter à ses étudiants, lors des exercices d’écriture :

« I don’t want to hear about your little life, OK ? ».

Mais L’auteur du classique Beloved avait d’autres choses en commun avec Maya Angelou, dont l’une des plus évidentes, une enfance difficile, avec des parents démunis, si pauvres que parfois ils n’arrivaient pas à s’acquitter de leur maigre loyer. L’autrice a révélé à ce sujet un malheureux épisode. Alors qu’elle n’avait que deux ans, Toni fut confronté aux côtés de ses parents à la dure réalité de ce monde. Le propriétaire de la baraque qu’ils louaient, las de ne pas percevoir son bail, avait tout bonnement mis le feu à la maison. Toni Morrison raconte que lors de cet incident, alors que leur cagibi sombrait sous les flammes, ses parents avaient éclaté d’un four-rire, au lieu de s’apitoyer sur leur sort. Tant l’acte du propriétaire était d’un cruel incompréhensible qu’ils avaient préféré le revêtir d’un manteau burlesque, d’un comique inénarrable.

Marquée à vie, la petite Toni s’est promis de ne plus jamais revivre ça. Et elle s’est battue corps et âme pour y arriver. Alors qu’elle travaillait à son premier roman, The Bluest Eye, avec deux rejetons à sa charge, elle devait souvent se lever à quatre heures du matin pour écrire. Au bout du compte, la littérature le lui a bien rendu. Lorsqu’elle rend son dernier soupir en 2019, à l’âge de 88 ans, Toni Morrison a tout gagné, les médailles, les prix les plus prestigieux, les hommages, mais aussi une fortune estimée à plus de vingt millions de dollars, d’après le Celebrity Net Worth.

Imbolo Mbue : De Limbé (Cameroun) au million de dollar

Sur les traces de Maya Angelou et de Toni Morrison, arrive en bonne place Imbolo Mbue, une jeune autrice d’origine africaine qui a émigré aux Etats-Unis en 1999. Native de Limbé, au Cameroun, où elle a vu le jour en 1982, Imbolo Mbue a réussi à lever en 2014 la rondelette somme d’un million de dollars pour les droits de publication d’un livre qui était encore en projet. Le montant a été versé par Randhom House, à la suite d’une mise aux enchères de son manuscrit à la foire du livre de Francfort, et ce, deux ans avant la parution du livre ! Behold The Dreamers sera édité en 2016, précédée d’une forte couverture marketing comme on en a rarement vu pour un auteur africain. À la sortie du livre l’accueil du public est chaleureux, la critique très favorable et de nombreux lauriers sont récoltés au passage.

Les débuts de la Camerounaise n’avaient pourtant pas été faciles. Issue d’une famille modeste, Imbolo Mbue émigre en Amérique pour y poursuivre ses études. Mais même au pays de l’Oncle Sam, la vie n’est pas toujours rose non plus. Imbolo s’en rendra compte, et s’en inspirera d’ailleurs pour écrire son premier roman à succès, qui met en scène un jeune homme arrivé du Cameroun qui croyait trouver de l’or sur les pavés de New York, et qui, à force de désillusions, finit par regretter son Limbé natal. Imbolo Mbue aura été jusqu’à faire du porte-à-porte pour vendre des vacuums ; on imagine l’embarras pour une jeune fille noire essayant de fourguer ces gadgets intimes à des hommes blancs… Mais la jeune Mbue ne perd cependant pas espoir, inspirée par Toni Morrison, elle est décidée à suivre la voie de son icône. Aujourd’hui, elle semble désormais bien partie pour y arriver. En 2021, paraît son second roman, How beautiful We Were, qui lui aussi n’a pas fini de faire parler.

Servez-vous !

La liste n’est pas exhaustive. On peut le dire, la littérature américaine cuisinée par les femmes d’Afrique est très enrichissante, au propre comme au figuré. Certains nous en voudraient de ne pas citer Yaa Gyasi, la Ghanéenne qui pour sa part a grandi dans des conditions relativement aisées, elle aussi écrivaine à sept chiffres (un million de dollars avancé pour son roman intitulé Homegoing, paru en juin 2016) ; ou encore Chimamanda Ngozi la Nigériane dont la production littéraire est aussi très appréciée par la critique, avec des ventes qui parfois dépassent les 500 000 exemplaires, rien qu’en Amérique ! James Brown l’avait prédit en disant aux Blancs :

« Je ne vous demande pas de me servir ; je vous demande de me laisser entrer, je me servirai moi-même. »

Oui, allez les Sisters, servez-vous !

Palabre Intellectuelle

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