Samuel Eto’o, FECAFOOT, CAN 2021, le dessous politique des cartes

Comment changer tout seul la gestion calamiteuse du football dans un pays calamiteusement géré tout en maintenant un soutien aux responsables des calamités ?

Après Pascale Owona en 1993, Samuel Eto’o est devenu depuis le 11 décembre, le deuxième footballeur élu à la tête de la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT). L’ancien joueur du FC Barcelone a reçu un soutien massif et écrasant de la population qui ne s’est pas forcément traduit dans le résultat des votes. 43 voix contre 31 face à son adversaire, le président sortant Seidou Mbombo Njoya. On aura probablement assisté à la première élection nationale démocratique et transparente du Cameroun. Filmée et diffusée en direct à la télévision, l’élection de Samuel Eto’o n’a souffert d’aucune irrégularité.

Pour y parvenir, l’ancien capitaine des lions indomptables a déployé l’artillerie lourde pour convaincre, réussissant à rassembler autour de lui la crème de l’élite footballistique camerounaise. Roger Milla, Joseph Antoine Bell, Geremi Njitap, Rigobert Song, François Omam Biyick… tous ont fait bloc derrière le n°9, dépassant leurs frictions antérieures parfois bien aiguisées pour aller chercher la victoire.

L’Afrique du foot applaudit à l’unisson l’exploit de l’icône Eto’o sous le slogan « la gestion du foot aux footballeurs » ; et les Camerounais se plongent dans un doux rêve de changement imminent et certain de leur football à l’agonie depuis… depuis toujours en réalité, car la gestion du football camerounais a toujours été malheureuse et très souvent indépendante des victoires de son équipe nationale fanion. Le management de la FECAFOOT reposait sur 5 principes constants à travers les décennies :

Règle n°1 :  Dénicher le coach idéal pour l’équipe nationale. Un homme à la fois performant et ouvert aux pratiques locales de jeux mafieux.

Règle n°2 : Prier le ciel pour bénéficier comme souvent, d’une génération de surdoués qui gagnera la CAN et/ou fera amende honorable en coupe du monde.

Règle n°3 : Réussir sa validation politique par la bonne organisation d’une finale de la coupe du Cameroun en présence du guide suprême depuis 1982.

Règle n°4 : Se faire de l’argent.

Règle n°5 : Se faire beaucoup d’argent!

En d’autres termes, le championnat local, les joueurs locaux, l’encadrement, la formation, les infrastructures, le merchandising n’ont jamais fait partie des priorités des dirigeants de la FECAFOOT, ni avant les années 90, ni après, ni durant les années 2000.

Au-delà des strasses, des paillettes et d’un engouement populaire légitime et logique des populations à l’égard d’une star de football dans un pays en éclatement, qu’est-ce qui se cache derrière l’élection de Samuel Eto’o à la tête de la fédération camerounaise de football ?

Des enjeux éminemment politiques dont Eto’o en a conscience

Le Cameroun est en guerre dans toute sa partie nord-ouest et sud-ouest avec 2,2 millions de personnes touchées à travers le pays. 574.000 déplacées à l’intérieur du pays, 68.600 réfugiés camerounais au Nigéria. Des dizaines de prisonniers politiques enfermés, des arrestations arbitraires de manifestants pacifiques, une crise humanitaire sans précédent au Cameroun, une population qui gronde et des tensions ethniques attisées par les instruments du pouvoir de Yaoundé. C’est dans ce contexte électrique que la Coupe d’Afrique des Nations aura lieu en janvier sous l’égide du Président de la République Paul Biya (88 ans, 40 ans de règne sans partage) et du nouveau président de la FECAFOOT Samuel Eto’o (40 ans, 2 mois de règne).

Au-delà du nombre 40 que les deux hommes ont en commun, ils partagent également la même passion pour la même personne : Paul Biya ! L’un (le vieux), narcissique à souhait, amoureux de lui-même et de son record de longévité « ce n’est pas qui veut » disait-il sur le perron de l’Elysée, narguant ceux qui tentaient de lui reprocher son éternité politique. L’autre (le jeune), au sortir d’une rencontre avec le vieux, déclarait sa flamme pour Paul Biya à la veille de l’élection présidentielle de 2018.

« Je n’ai aucun doute sur qui je vais voter »

disait-il,

« mais le plus important c’est que mes frères fassent comme moi. Je vais voter le candidat président Paul Biya, pour toutes ces choses qu’il m’a apportées dans ma vie, ma carrière ».

L’organisation de la CAN au Cameroun coupléetrend à l’élection de Samuel Eto’o à la tête de la FECAFOOT participent de la même dynamique politique qui vise à attiser les flammes de la passion pour l’inutile au sein des populations. L’opium du peuple ! une vieille recette qui fonctionne et qui a fonctionné de tout temps, dans tous les pays, par tous les gouvernements autoritaires en proie aux revendications soutenues de leurs populations.

On se souvient de Pelé, sous la dictature militaire de Gastelo Branco à Joao Figueiredo (1964-1985) qui avait accepté des compromissions, tant il était amoureux de sa propre célébrité. Pelé avait dealé son silence et son rapprochement avec la junte, contre la garantie de rester idole ; s’affichant aux côtés de la dictature. Sa ligne politique ne changera pas, toujours proche des institutions (FIFA notamment) et du pouvoir, il devient ministre des Sports de 1994 à 1998, puis ambassadeur de l’ONU et de l’UNESCO.

En 2013, 275.000 fiches de la dictature brésilienne rendues publiques dévoilaient que les services secrets détenaient des dossiers compromettants sur Pelé, notamment des états de transferts de fonds, ainsi que des rapports de polices sur sa vie privée et une attaque visée contre son domicile en 1973.

Pelé et Emílio Garrastazu Médici, Président sous le régime de la dictature militaire (1969-1974)

Maradona quant à lui, avait fait le choix inverse, celui de s’allier aux peuples, faisant des pieds de nez systématiques à l’establishment. Un positionnement qui lui valut quelques béquilles et de violentes inimitiés, notamment avec la FIFA.

L’avidité et son goût prononcé pour la domination ont conduit l’ancien attaquant des lions indomptables à marcher sur les traces politiques de Pelé ; afin d’atteindre les objectifs fixés par son agenda personnel à peine caché dont le principal est la présidence de la CAF (Confédération africaine de football). Conscient des enjeux politico-obscurs dans lesquels il s’est plongé et mis sous pression par les attentes du grand public camerounais ; Samuel Eto’o fera probablement au mieux de ses capacités pour améliorer la gestion du football camerounais et tirer son épingle du jeu. Dans un contexte de panier à crabe où toutes les échelles de pouvoir du pays sont minées par la corruption et l’extorsion ; rien n’est gagné d’avance. Comment donc changer tout seul la gestion calamiteuse du football dans un pays calamiteusement géré tout en maintenant un soutien aux responsables des calamités ? là se trouve le challenge !

Et le peuple camerounais dans tout cela ?

Bercée par l’illusion des retombées économiques nationales grâce à l’organisation de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) en terre camerounaise, la population camerounaise y croit, et s’abreuve de discours erronés portés par les vrais bénéficiaires de cette gabegie.

Pourtant ils le savent tous ! le football n’a jamais développé aucun pays, bien au contraire, une vraie machine d’endettement qui ne profite qu’a une super-classe (à peine 0.05% de la population) constituée d’acteurs majeurs privés, dirigeants de foot, des joueurs et surtout de politiques qui s’en servent comme paravent et cache-misère.

Ils évoquent pourtant, avec une simplicité infantile que la construction des stades produit de la main d’œuvre, dynamise l’économie autant que l’attractivité touristique, les hôtels… Mais la réalité économique se résume en un endettement sur deux générations au profit de 3 semaines de compétition et d’un leurre politique qui durera le temps de l’éveil populaire.

Coupe du monde 2014 au Brésil : 15 milliards de dollars d’investissement principalement réalisé par l’État brésilien, recettes de 12.8 milliards (2.2 milliards de pertes) et durant la même période, 2011-2014, la FIFA réalisait un bénéfice record de 5,718 milliards de dollars. En 2010 en Afrique du Sud, les pertes étaient elles aussi sèches et accentuées par les coûts d’entretien des stades (1.2 million d’euros/an) non-couvert par les recettes.

520 milliards CFA ! Qui payera la note camerounaise ?

Pour organiser la CAN au Cameroun, le gouvernement camerounais a débloqué la somme officielle de 500 milliards de CFA, soit 760 millions d’euros, pour construire 4 nouveaux stades. Par la suite, 12 milliards (20 millions d’euros) ont été débloqués pour l’organisation de l’évènement proprement dit.

520 milliards CFA représentant environ 2% du PIB camerounais ont pris la route d’une compétition sportive de 3 semaines dans un pays dans lequel une grande partie de la population ne dispose ni d’eau potable ni d’électricité.

Une nouvelle page de l’histoire du Cameroun est sur le point de s’écrire, à travers le football.  La balle se trouve au sommet de la pyramide, nul ne sait de quel côté elle tombera.

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