Maria Arena; Bilan et nouveautés pour les Journées de l’Afrique 2017 du PS
Maria Arena aborde et assume le bilan des 6 dernières années, répond aux critiques et annonce des changements pour cette année 2017.
Bruxelles, capitale d’Europe, où diversité est tout aussi présente que discriminations. La communauté africaine est la plus touchée par ce fléau. En effet, tant en matière de logement, d’emploi, de respect ou tout simplement d’égalité des chances, être issue de cette communauté rend souvent le quotidien plus difficile qu’il ne devrait l’être. De nombreuses portes se ferment, d’autres ne s’ouvrent jamais quand on est né du « mauvais côté ». C’est notamment pour lutter contre cela, que la journée de l’Afrique a été créée en 2010 par Maria Arena, membre du parti socialiste, ancienne Ministre de l’éducation et actuellement députée européenne. Ces journées censées mettre en lumière les difficultés des communautés subsahariennes de Bruxelles et y apporter des solutions, ont subi des critiques acerbes ces dernières éditions, concernant leurs réelles utilités et l’instrumentalisation dont-elles pouvaient sembler faire l’objet. La prochaine édition, qui aura lieu ce 22 avril au théâtre Marni, est annoncée pleine de nouveautés. Nous sommes allés à la rencontre de la Maria Arena qui aborde et assume le bilan des 6 dernières années tout en exprimant les enjeux et les raisons de cette initiative.
Concrètement pourquoi cette journée ?
Cela fait depuis 2010 que j’ai initié l’idée avec la diaspora africaine présente à Bruxelles, d’avoir une journée dédiée à la relation Belgique- Afrique. Cela me semblait important de travailler avec une riche diaspora que nous avons ici en Belgique et à Bruxelles en particulier . L’idée est donc née de concentrer nos réflexions sur une journée, afin de savoir quelles sont les préoccupations de la diaspora que ce soit ici ou en Afrique et comment peut-on y apporter, politiquement parlant, des réponses. J’ai découvert que cette diaspora qui est belge, est encore très liée à ses pays d’origines pour plusieurs raisons. Souvent, elle a encore de la famille présente en Afrique qui se trouve dans des situations difficiles liées aux instabilités, à la pauvreté ou au système de santé en générale mal organisé. Cette diaspora contribue beaucoup au bien être des familles qui sont encore en Afrique.
Quelles réalisations suite à toutes les revendications?
Cette année, nous en sommes à la sixième édition avec des réalisations concrètes concernant ces préoccupations. Je ne parlerais pas de « revendications », car l’idée n’est pas de poser un cahier de revendications, mais de préoccupations. Par exemple, nous avons abordé la question de la mutilation génitale, une pratique toujours active dans certaines parties de l’Afrique comme en Gambie où cette mutilation concerne 90% des jeunes filles dans certaines régions. Le taux le plus bas est de 40%, cela veut dire que c’est une réalité importante. La communauté voulait savoir comment travailler à la fois ici pour lutter contre ce phénomène et aussi réparer les femmes victimes de ces mutilations. Nous avons donc crée un service à l’Hôpital Saint Luc, spécialisé sur cette question d’un point de vue accompagnement psychologique et chirurgie réparatrice. Nous avons aussi soutenu, une association qui travaille ici en Belgique et en Afrique sur le changement de mentalité par rapport à cette question. Tout cela est venu du dialogue instauré durant ces journées.
Quel est le bilan global après 6 ans ?
Chaque année il y a des discussions avec des thématiques. Par exemple, la thématique sur l’entrepreneuriat avait été mise sur la table. Il était question de savoir, comment des personnes avec des racines et des histoires différentes peuvent valoriser ces compétences pour créer leur propre entreprise. En effet, souvent on vous demande de créer une entreprise en faisant fi de ce que vous savez de vos origines alors que cela peut être un capital humain très important. Le fait de mieux et de bien connaitre l’Afrique peut vous permettre d’avoir un entrepreneuriat ici en Europe et de faire des liens avec d’autres entreprises là-bas. Ainsi, nous avons créé dans le cadre des maisons de l’entreprise, une plateforme de l’entrepreneuriat de la diversité qui permet d’intégrer les compétences des personnes issues de la diversité. Ces personnes sont souvent multilingues et connaissent des langues que les européens ne connaissent pas. Elles ont des liens étroits avec les pays d’origines donc elles connaissent bien les systèmes de ces pays. Nous travaillons sur la valorisation de ces compétences plutôt que de les considérer comme des défauts. Il s’agit de entrepreneuriat de la diversité pas seulement africaine mais une diversité beaucoup plus large. Autre exemple, une demande a été formulée sur une maison de l’Afrique, une maison des cultures africaines car en Europe il y a des cultures et c’est pareil en Afrique . Pour moi, il est important d’avoir un lieu d’expression culturelle du continent africain à Bruxelles. Cette demande a été formulée l’année dernière, une étude a été commandée pour voir comment mettre en place cette maison, avec qui, avec quels moyens, à quel endroit… On ne voudrait pas avoir une maison de la culture africaine monopolisée par une communauté plus présente qu’une autre par exemple, celle de la République Démocratique du Congo qui historiquement est très représentée à Bruxelles. Cette étude sera d’ailleurs surement présentée durant la journée du 22 avril.
Quelles sont les nouveautés pour cette sixième édition, mise à part le changement de lieu?
Plusieurs changements, les thèmes ont été mis sur la table par la diaspora elle-même. Il y a donc une multitude de thèmes qui seront abordés; la santé ou encore la diversité dans les médias qui est souvent évoqué. Cependant, nous n’avons pas d’emprise politique dessus et de ce fait nous ne pouvons pas imposer cela aux médias à cause de la séparation des pouvoirs. En même temps, nous voulons lancer des messages par exemple, en tant que socialistes quand nous envoyons des personnes sur les plateaux télévisés nous devons intégrer le fait que nous devons nous même promouvoir cette diversité c’est-à-dire, promouvoir des élus communaux, régionaux ou autres, issus de la diversité, car ils jouent aussi un rôle de modèle de réussite. Nous devons donc nous-même appliquer ces règles là. Un autre changement concerne le format qui sera différent. Dans les précédentes éditions c’était un format discours académique et puis des tables rondes. Cette année il y’aura deux niveaux d’expertises, des conférences sur des thématiques qui vont être données par des intervenants extérieurs, des experts conférenciers qui ne sont pas représentants politique. Il y aura des psychologues, des sociologues, médecins etc, qui vont venir parler de la discrimination. Sur les mêmes thèmes, des tables rondes vont approfondir le sujet. Donc le conférencier servira d’éclaireur et les tables rondes vont travailler sur les propositions.
Comment expliquez-vous le manque de promotion autour de cet événement ?
C’est très difficile en matière de promotion. Nous faisons des communiqués de presse que nous envoyons aux médias et je dois avouer que c’est la première année que nous avons un relais de presse assez important. La RTBF « Afrique hebdo » a désiré en parler. Cela veut dire, qu’il y a une crédibilité qui est donnée à cette journée. Il faut savoir que quand une journée telle que celle là est organisée par un partie politique, ici le PS, parfois les médias n’ont pas envie de couvrir car c’est partisan. Donc il n’ y a pas forcément cette volonté des médias de couvrir une initiative partisane. Mais les médias se sont rendus compte, que l’approche qui est donnée à cette journée n’est pas partisane mais qu’il est surtout question de pouvoir travailler sur cette relation avec l’Afrique. Moi j’aimerais qu’on aborde par exemple, toute la question de l’afro-phobie. Aujourd’hui, il y a une directive européenne qui parle du racisme et on y parle de l’anti-sémitisme , de l’islamophobie, du racisme de genre, et d’orientation sexuelle, mais on ne parle pas du racisme anti-noir, or, c’est celui qu’on retrouve le plus et sur tous les continents. C’est quand même particulier . Les discriminations qui sont vécues par les personnes africaines sont beaucoup plus fortes que toutes les autres . Si vous êtes une femme d’origine africaine et musulmane, aujourd’hui c’est un parcours du combattant sur les marchés de l’emploi, du logement et de l’école. Tout cela n’est pas abordé. Est-ce le passé coloniale de l’Europe qui l’empêche ?! Nous travaillons actuellement avec l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve pour comprendre ces mécanismes et pour avoir les outils pour les combattre. J’aimerais d’ailleurs, que ce soit un sujet proposé l’année prochaine.
Quelles sont les critères de sélection des associations qui seront présentes ?
Il y a eu une grande demande des associations culturelles et culinaires mais il n y’a pas que ça. Les associations culturelles ont aussi une base engagée et démontrent une dynamique culturelle qui apporte aussi du plaisir à cette journée, c’est important d’allier le travail et le plaisir. J’ai aussi rencontré des associations militantes politiques par rapport à des situations qui concernent leurs pays d’origine. J’ai aussi demandé aux associations présentes, qu’elles puissent signer une charte des valeurs car c’est important d’avoir des associations qui, si elles militent par rapport à leurs pays d’origine, le fassent dans les valeurs progressistes telles que nous les défendons dans le parti socialiste. Parfois, il y a des associations qui font la promotion culturelle mais qui en même temps prennent positions par rapport à des situations de leur pays d’origines par exemple une dictature. Cela est difficilement acceptable d’avoir ce genre de représentation.
A quand les résolutions et engagements clairs du PS sur les questions de discrimination au logement et à l’emploi dont souffre la communauté africaine ?
Vous savez la loi contre le racisme dont on ne parle plus beaucoup, qui a été proposée par Philippe Moureaux et dont on va fêter les 20 ans, a été très difficile à obtenir. Aujourd’hui, on pourrait se dire que c’est évident mais quand nous l’avons mise sur la table il y a 20 ans, ce n’était pas si évident que cela. Comme je le disais, la question du racisme évolue beaucoup et il est nécessaire de reprendre le travail sur cette loi, de la moderniser et la renforcer. Mais nous ne pouvons pas dire que le parti socialiste n ‘a rien fait sur la question du racisme. Il y a eu beaucoup de choses faites. Par exemple, Rachid Madrane qui est socialiste, est venu à Bruxelles avec l’ordonnance sur la question de la présence de la diversité dans les administrations bruxelloise et un quota a été instauré, ce qui n’était absolument pas une recommandation ou une loi prise avant. Par rapport à la directive européenne sur le racisme, c’est moi qui ai proposé d’intégrer l’afro-phobie. Cela prend du temps, mais on initie les demandes qui après doivent être votées dans les différents parlements. Il y a donc des choses qui se font, certainement pas assez, c’est pourquoi on doit continuer à travailler sur cette question. Nous avons notamment essayé de travailler sur la question de la diversité dans la police. Aujourd’hui à Bruxelles, on privilégie le bilinguisme francophone et néerlandophone mais pas la question de la diversité alors que c’est une capitale de la diversité. S’il n y a pas de policiers issus de cette diversité, ils ne peuvent pas comprendre la réalité bruxelloise, les problématiques du délit de faciès ou les dérives sécuritaires au niveau de la police. Il y a donc vraiment un travail à faire à ce niveau et les socialistes sont porteurs de ces revendications là.
En tant qu’ancienne ministre de l’éducation, comment expliquez-vous que l’histoire africaine ne soit pas enseignée dans les écoles et les universités belges alors que la Belgique et l’Europe sont lourdement liées à l’Afrique ?
Le gros problème c’est que les programmes pédagogiques c’est comme les médias, les politiques ne peuvent pas faire les programmes. Ce sont les pédagogues qui les définissent, ce qui est normal dans la mesure où si c’était les politiques qui faisaient ces programmes on aurait de la propagande. Moi par exemple, je pourrais dire de revoir l’histoire et faire en sorte que cela aille dans le sens des socialistes. Ce que nous pouvons faire, ce sont des recommandations, nous pouvons effectivement demander qu’il y ait une préoccupation. Par exemple, je suis intervenue sur la question du genre en disant « comment cela se fait-il qu’il n’ y ait que les hommes qui soient mis en évidence ?!». Nous avons donc recommandé d’avoir une approche genrée des manuels pédagogiques. Mais nous ne pouvons pas imposer le contenu pédagogique. J’ai fait le décret inscription pour lutter contre le problème de la diversité au sein des écoles, car dans certaines d’entre elles il n y a pas du tout de diversité. Nous ne pouvons pas, dans une ville où plus de 50% des jeunes de moins de 18 ans sont issus de la diversité, tolérer qu’il y ait des écoles publiques dans lesquels il y a 1% seulement des jeunes de la diversité. Ces écoles doivent représenter la population de Bruxelles et donc la diversité. Certains directeurs n’ont pas voulu faire ce travail, nous leur avons donc imposé la règle du premier arrivé premier servi. Certains en ont fait un problème à cause des files que cela engendrait, mais personne n’a jamais parlé du fait qu’avant ce décret, les files existaient déjà et que les personnes issues de la diversité faisaient ces files mais n’étaient pas acceptées pour autant. Pour moi ce décret est une réponse à la question de la diversité.
Ne peut-il pas y avoir de décret « éducation à la diversité » ?
(Rire) Non car c’est le contenu … Il y a des cours à la citoyenneté et pour ces cours il faut atteindre des compétences. Mais concernant la manière de les atteindre c’est le pédagogue qui s’en occupe c’est lui qui décide du contenu pour atteindre ces compétences. Nous ne pouvons pas faire de propagande dans les écoles. Nous pouvons faire un débat politique mais cela doit rester neutre. Le système est très protégé du monde politique et je trouve cela très bien. Nous pouvons forcer l’organisation scolaire car nous payons l’école et empêcher la discrimination basée sur la couleur dans les écoles. D’ailleurs, nous avons également imposé la règle des 90% pour les voyages scolaire, si moins de 90% des élèves ne peuvent payer le voyage alors personne ne part car un voyage scolaire c’est collectif. C’est une façon de faire en sorte que la diversité soit vécue dans les écoles.