Fabrice Masuka, homme de culture, témoin historique du trépas d’un géant

Figure emblématique du paysage culturel belge, Fabrice se raconte et raconte Wemba. 

Présentateur du Festival Couleur café depuis plus de 20 ans, cet éternel jeune homme, père de 4 enfants, bon vivant et bien ancré dans son métissage, est né en Belgique où il a grandi, avant de se jeter à l’assaut de l’Afrique, de son Congo, à travers ses voyages et ses rencontres. A 3m de lui, Papa wemba rendait l’âme, alors qu’il venait de le présenter sur scène. C’est un homme comblé et apaisé que nous avons rencontré, fier et riche de ses rencontres.

fabrice Masuka

À 22 ans, Fabrice est déjà éducateur de jeunes placés par le juge dans un centre fermé à Bruxelles. Là-bas, il innove par son approche et se fait remarquer grâce à ses brillantes activités avec les jeunes. Emerveillé par le jeune festival couleur café, une nouvelle scène Belge des année 90 qui accueillait des artistes de renom aux couleurs du sud… Fabrice rêve de le présenter, s’imagine monter sur scène pour présenter de grands artistes devant 5000 personnes.

Le déclic Bernard Lavillier

C’est après une rencontre fortuite avec le célèbre chanteur et compositeur français Bernard Lavillier que tout s’est accéléré.

« Bernard Lavillier m’a mis le pied à l’étrier. Nous avons eu de superbes conversations et il m’a promis de venir me rendre visite à mon lieu de service. A ma grande surprise, il l’a fait, il est venu et a offert un concert de 40 min à tous les jeunes avec qui je travaillais. C’était un moment inoubliable. J’avais 26 ans. Poussé des ailes, après c’était moins compliqué d’aller toquer à la porte de couleur café, ce n’était plus qu’une formalité »

nous dira t-il. Un an plus tard, Lavillier repassait donner un concert en communauté Française et s’adressait aux patrons de Fabrice en ces termes : « Fabrice Masuka vous ne le garderez pas longtemps, il va passer de l’ombre à la lumière ».
Du rêve à l’action, Fabrice passera et couleur Café lui ouvrira ses portes !
Avant d’entamer l’aventure Couleur Café, Fabrice sera sollicité pour présenter plusieurs années le festival du rire de Rochefort où il se fera la main. Comme si c’était hier, il se souvient encore du premier artiste qu’il a présenté.

« La première année, par prudence, ils ne m’ont programmé que pour une partie du festival. Quand j’ai présenté Mc Solar, je suis descendu de scène et mon boss m’a dit  « qu’est ce qu’on fera sans toi demain ? », là j’ai compris que j’étais dans la maison ».

22 ans plus tard, Fabrice Masuka n’a pas manqué un seul festival et a pris de la dimension. C’est en fier conquérant qu’il a créé au Congo RDC, le festival terre d’Afrique où des dizaines d’artistes internationaux se sont produits.

Une carrière infiniment riche de rencontres

Fabrice Masuka en a vu défiler des stars, du talent et des évènements. Certains plus marquants que d’autres, notamment le groupe ivoirien Magic system pour qui il tombe d’admiration.

« Derrière leur réussite, ce coupé décalé à la sauce occidentale qui fait danser toute la planète, ils me semblent avoir tout compris quand on voit d’où ils viennent et comment à coup de discipline ils se sont hissés, plusieurs fois disque d’or. Je suis en admiration d’autant plus qu’ils sont profondément attachés à leurs valeurs et à l’endroit d’où ils viennent. Je les avais rencontrés au départ pour chanter à mon festival cœur d’Afrique et depuis lors nous sommes des amis que j’ai même emmené à Lubumbashi ».

James Brown fabrice masuka

James Brown, Papa Wemba, des tournants marquants

De ses multiples rencontres, l’une des plus marquantes sera sans doute celle avec James Brown : « D’avoir travaillé avec lui, parlé avec lui, d’avoir eu des moments de complicité avec lui, ce sont des souvenirs magiques qui ne me quitteront jamais », dira Fabrice, fraichement remis du décès d’un autre géant, celui-là africain, celui-là sur scène, devant Fabrice qui venait de le présenter : Papa Wemba ! Le roi de la Rumba est mort à 3m de Fabrice Masuka quelques minutes après qu’il l’ai présenté au cours du festival ivoirien FEMUA créé par les Magic System.
Retour sur un destin troublant, une mort violente, une polémique vide de sens, un départ grandiose. Fabrice Masuka raconte Papa Wemba.

Entretien

Vous êtes la dernière personne à avoir présenté Papa Wemba…

Fabrice M : Histoire tragique, j’en parlerai toute ma vie. Quand vous avez la chance d’avoir vécu la vie que vous aviez rêvé de vivre, que vous avez la chance d’être connu dans le monde et de laisser une œuvre pour la postérité, et qu’en plus de cela vous quittez ce monde, sur votre lieu de travail, en l’occurrence sur la scène devant des milliers de gens, on ne peut pas dire que c’est une vilaine histoire. C’est dur pour ceux qui restent, mais pour celui qui est parti c’est magnifique. Mais en même temps au moment où ça se passe, c’est violent, c’est la première fois pour moi de voir quelqu’un mourir en direct, en plus, je venais d’être marqué par le décès de deux de mes proches quelques temps avant. Il est certain que le sien m’a marqué, surtout que je lui parlais quelques instants avant et que 2 mois avant on se trouvait ensemble au Congo parce que je prévoyais de travailler avec lui sur un projet. Vous l’avez compris, Papa Wemba n’était pas un inconnu dans mon univers. Son dernier grand concert à Couleur café c’était fait suite à une de nos rencontres, je l’ai proposé à la programmation. Il avait été très heureux, vu qu’il montait sur scène pour la première fois avec sa petite fille.

Racontez ces derniers instants

Le présentateur officiel Serges Fatoh m’a proposé de présenter Papa Wemba. Il est important ici de savoir que je suis venu au FEMUA par pure amitié, une surprise pour les Magic System. Je n’étais donc pas présentateur, cela n’était même pas prévu. Papa Wemba est arrivé certes fatigué, on a discuté, il m’a dit qu’il irait dans sa loge se reposer, se concentrer. Il est ressorti et on connait la suite.

La polémique du micro piégé… du pipo !

Quand il est monté sur scène, il faut savoir qu’il n’y avait qu’un seul micro rattaché à la régis télévision et comme c’était du direct et que c’est moi qui allais le présenter, c’était donc mon micro que je lui ai donné. Au troisième titre, il est tombé. A ce moment-là, je faisais des photos et quand il tombe, à aucun moment je ne me dis qu’il va mourir, je me dis qu’il fait un malaise, et que ça irait. D’ailleurs, j’ai fait des photos avec l’intention de les lui montrer plus tard.
C’est quand je suis arrivé devant lui que j’ai compris qu’il est mort, car j’ai vu son dernier souffle sur scène.

On a parlé de la lenteur des secours

Quand il est tombé, 30 secondes après les secours étaient là. Le seul problème c’est qu’au moment où il est tombé, tout son groupe s’est mis autour de lui à faire des incantations au nom de jésus, et les secours même avaient du mal à accéder à lui. Les premiers qui l’ont soulevé étaient ses musiciens sans aucune expérience.
Des mauvaises langues, je ne veux même pas entendre parler. Les organisateurs du festival ont fait leur boulot, les Etats ivoiriens et congolais lui ont réservé des funérailles d’homme d’Etat, de star internationale, de grand. Bravo aux ivoiriens.

Après la chute, qu’avez-vous fait ?

Moi j’étais complètement retourné. Au moment où il meurt, je suis bouleversé, je reprends le micro pour calmer la foule, question de rester professionnel. Donc ce fameux micro dont on parle, je l’ai encore repris pour demander aux gens de rentrer tout doucement chez eux. Apres coup, en digérant on se dit qu’on a été choisi et que dans toute son histoire, il me déléguait une partie de son héritage.
Donc si on croit à des choses extraordinaires de la vie, alors toute ma vie je serai cette personne qui a présenté Papa Wemba pour la dernière fois sur scène. Je le vis comme un honneur finalement. Pour ces quelques minutes d’histoire, j’ai envie de lui dire merci. Dans le malheur, j’ai eu beaucoup de chance. Je me suis réservé, car il y avait jusqu’ici trop de gens qui ont parlé. J’ai été me recueillir sur sa tombe discrètement à Kinshasa, et je lui ai dit ce que j’avais envie de lui dire.

Vos ambitions ?

Pour quelqu’un qui n’est pas carriériste, c’est difficile. Mais comme on dit, « Le bonheur c’est de savoir prendre ce qui vient et de laisser partir ce qui s’en va » ça aussi c’est le bonheur.
Je ne désespère pas de créer un gros projet en Afrique ou d’en être une cheville ouvrière afin de contribuer au développement de la culture de l’industrie musicale et du divertissement. Je compte aussi énormément m’investir dans le soutien et la formation des jeunes en Afrique.

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